Mercredi, 7h du matin, dehors il ne fait rien. Le soleil dort encore. On annonce une tempête, elle doit dormir elle aussi. Elle n'est pas arrivée. J'allume la radio. La voix grave de Paul Arcand déclame la liste des écoles fermées par mesure préventive. Il n'y a pas un flocon de neige au sol et déjà on ferme les écoles! Quelle époque de pleutres!

Dans mon temps, il fallait la tempête du siècle, la crise du verglas et une grève des chauffeurs d'autobus, en même temps, pour que les écoles ferment. Jamais on n'aurait fermé les établissements par mesure préventive. Pour prévenir quoi? Prévenir le grand danger d'avoir des enfants en classe pendant qu'il neige dehors? C'est quoi le problème? Nos écoles ne sont pas faites en Stade olympique. Elles ont des toits qui résistent aux flocons. La neige n'ensevelira pas le corps professoral. OK, le retour à la maison sera plus ardu. Mais rien de dramatique. Le Québec, ce n'est pas la Côte d'Azur. Il y a parfois de grosses bordées de neige. On est habitué. Ça fait 500 ans qu'on vit ici.

 

On a déjà vu neiger. Il semble que non. Même plus besoin de voir neiger, pour adopter les mesures d'urgence-neige. La météo prévoit une tempête, alors on agit comme si elle avait lieu. Un jour, la météo va se tromper, et toutes les écoles seront fermées pour absolument rien. Parce qu'il fait beau.

Dans mon temps, les jours de tempête, on se levait plus tôt. On aidait mon père à déneiger l'auto. Puis il nous conduisait au collège. On n'avait pas peur de la neige. On n'attachait même pas notre ceinture. Et mon père pompait un paquet de cigarettes sur le chemin. On n'avait pas peur de la fumée secondaire. Dans mon temps, on n'avait peur de rien. Dans mon temps, on était un peu épais, mais pas couillon.

Je sais, lorsque l'on dit trop souvent dans mon temps, ça veut dire que l'on est vieux. J'aime mieux être vieux que pleutre.

La peur déraisonnable de l'inconnu, je comprends. C'est humain. C'est viscéral.

Il y a un mois, on aurait crucifié Claude Dubois parce qu'il a passé devant tout le monde pour se faire vacciner. On prévoyait que la H1N1 nous emporterait tous. Aujourd'hui, Claude Dubois pourrait aller se faire vacciner toutes les heures en chantant fadedidoudou, on le laisserait passer devant nous. Vas-y, mon Claude! On n'a plus si peur que ça.

Le connu est presque toujours moins effrayant que l'inconnu.

Si on annonçait une tempête de neige à Tahiti, je comprendrais la panique des habitants, leurs extrêmes précautions. Mais la peur déraisonnable du connu, ça s'explique mal. Au Québec, on sait tous ce que c'est, une tempête de neige. On sait tous que ce n'est pas l'horreur des ouragans ou des tsunamis. On sait tous que c'est juste un peu de trouble. C'est tout. Il faut prévoir deux fois plus de temps pour aller quelque part. Mais on s'y rend.

Mercredi, tout était ouvert. Les bureaux, les magasins, les bars. Tout, sauf les écoles. Comme si aller à l'école n'était pas aussi important que le reste. Comme si aller à l'école ne valait pas l'effort d'aller chercher nos enfants dans le trafic, le soir. Comme si aller à l'école était trop de trouble.

On est en train de former une génération de peureux. Mercredi matin, des milliers de parents ont dit à leurs enfants:

- Aujourd'hui, tu ne vas pas à l'école...

- Pourquoi? Il ne neige pas...

- Non, mais il va neiger...

Ça ne fera sûrement pas un futur brave. C'est pas comme ça qu'on apprend à un jeune à affronter les épreuves. La tempête n'est pas là encore, mais on est certain qu'elle sera plus forte que nous. Alors, on ne se présente même pas. On démissionne. On ferme.

C'est toujours plus facile de perdre que de gagner. On apprend aux enfants la facilité. On apprend aux enfants à perdre.

Une société de pleutres.

Qu'est-ce que les parents ont fait de leurs enfants qui ne pouvaient pas aller à l'école? Ils sont allés les conduire dans des garderies.

Au Québec, il neige toujours trop pour apprendre, pour travailler. Mais il neige toujours assez pour ne rien faire.

stephane@stephanelaporte.com