C'est le week-end de l'Action de grâce, toutes les familles se réunissent. Et qu'allons-nous faire? Nous allons nous contaminer. Ce ne sera pas l'Action de grâce, ce sera l'Action de grippe. Mardi matin, la grippe A (H1N1) ne sera plus une rumeur. Mardi matin, la grippe A (H1N1) sera une réalité. Pourquoi? Parce qu'on va se toucher. Pénétrer nos bulles. S'échanger nos substances corporelles. Because on s'aime. Badigeonner ses microbes sur la peau de quelqu'un, est-ce vraiment l'aimer? Saint-Exupéry a écrit: Aimer, c'est regarder ensemble dans la même direction. Regarder. Il n'a pas écrit: Aimer, c'est se pourlécher ensemble la face.

Il faut changer nos us. Il faut changer nos coutumes. Apprendre à se saluer sans se salir. La façon la plus intime d'accueillir quelqu'un est le baiser. Le baiser sur la bouche que l'on réserve aux intimes. Et le baiser sur les joues que l'on fait aux gens que l'on aime beaucoup. En ces temps de pandémie, aussi bien se rouler dans une soue à cochons. Le baiser transmet les virus aussi rapidement qu'un courriel.

 

Donc, baissons d'un cran notre niveau de promiscuité et analysons l'accolade qui consiste à se coller les hauts du corps, à se taper dans le dos tout en se lançant bonjour! bonjour! Le danger de se parler dans le cou, c'est la force de propulsion du postillon. Pas besoin de déposer sa salive pour humecter son voisin. Lors du spectacle de Fabrice Luchini au Monument-National, les spectateurs assis au balcon recevaient des échantillons de salive du grand comédien. Espérons que sa culture microbiologique n'est pas aussi étendue que sa culture littéraire, car en récitant seulement un vers de La Fontaine, il postillonne assez pour infecter 800 personnes à la fois. Ils ne mourraient pas tous, mais tous étaient frappés.

Tout ça pour dire que l'accolade et son enthousiasme joyeux sont aussi à éviter. Que fait-on avec les gens que l'on connaît moins ou que l'on rencontre pour la première fois? On leur donne la main. La bonne vieille main. Vous me direz que c'est un échange poli et sec. Ça dépend de la main. Certaines mains semblent avoir traversé le lac Saint-Jean avant d'arriver dans la nôtre. Et notre naufragé, au lieu de se présenter en disant: «Moi, c'est Gérard!», devrait plutôt dire: «Moite, c'est Gérard!» De toute façon, moites ou pas, les mains sont sûrement la partie du corps la plus vagabonde. Elles vont partout. Pas seulement sur tous les objets, mais surtout dans tous nos recoins. Oreilles, nez, bouche, alouette.

Serrer la main de quelqu'un, c'est toucher à tout ce qu'elle a touché. Tout ce qu'elle a tenu, tout ce qu'elle a fouillé. On rit des chats et des chiens qui se rencontrent en se sentant l'arrière-train, notre approche n'est guère mieux. On aurait peut-être même avantage à les imiter, et sentir la main que l'on nous tend avant de la brasser allégrement.

Bien sûr, si vous vous présentez au souper de famille et refusez de serrer la pince à vos parents, vous risquez d'être le Howard Hughes du clan. Le spécial. Le rejet. Parce que la poignée de main est un signe de franchise, de générosité, d'ouverture vers les autres. C'est pour ça que les politiciens en donnent autant en campagne électorale. Pour nous démontrer leur sincérité. Mais les temps ont changé. L'humain voyage à la vitesse de l'éclair. Et tous les parasites qu'il abrite aussi. Il nous faut donc trouver une alternative à la poignée de main, pour nous saluer de façon sanitaire.

On pourrait revenir au temps des Romains. Ave César! On montre la paume de sa main, mais on ne la glisse pas dans celle du voisin. C'est sûr que l'accueil est un peu sévère. On étire le coude un peu et ça devient un salut nazi. Malaise. Inspirons-nous plutôt de la cour du roi, alors, et adoptons la révérence. On se baisse, mais on ne baise pas. C'est charmant, surtout devant une demoiselle. Cependant, quand deux Hells se rencontrent, ça risque de provoquer l'hilarité des autres gars du chapitre.

Le kowtow chinois a l'avantage d'être un geste moins efféminé que la révérence. Il n'y a pas de facéties avec les mains. On se met carrément à genoux et la tête touche le sol. C'est sûr que si vous être derrière celui qui est en train de saluer, vous êtes dans la position idéale pour le saluer à la manière de Fido. Je verrais mal Stephen Harper, en plein bain de foule, faire le kowtow à chacun de ses électeurs potentiels. Allô le lumbago! Et la tentation serait forte pour un libéral égaré de lui donner un coup de pied au... conservateur.

Tout bien réfléchi, le geste amical le plus hygiénique et le moins souffrant est le clin d'oeil. Faisons-nous des clins d'oeil. C'est complice, c'est coquin, et c'est rassurant. Je me souviens, quand j'étais petit, mon père m'en faisait. Sur le coup, je me demandais pourquoi. Mais je finissais par comprendre le sens. Ça voulait dire: Je suis avec toi, mon gars. Ça prend le temps d'un battement de cils, et c'est fait. Bien sûr, pour une photo officielle, ça paraît moins bien qu'une poignée de main. Obama, un oeil fermé face à Sarkozy, un oeil fermé aussi. On va finir par s'y habituer.

Se saluer avec les yeux, c'est logique. C'est dans les yeux que tout passe. Aimer, c'est regarder ensemble...

Joyeuse Action de grâce à tous! Rendez grâce au ciel de ne pas être grippé encore. Je vous fais un clin d'oeil ; -), comme tous les matins!