Tous mes amis aiment ma mère. Tous mes amis aiment ma mère encore plus qu'ils m'aiment. Et je les comprends. Ma mère est beaucoup plus aimable que moi. Elle est toute petite, mais ses yeux sont tellement grands qu'on y voit son coeur encore plus grand. Dès qu'on est à côté d'elle, on sourit. On est heureux. On trouve que la vie est belle. Aussi belle qu'elle. Ma mère respire la joie de vivre. Elle fait du bien. En étant là, tout simplement.

Vendredi, fin d'après-midi, j'assiste aux auditions pour l'émission Le Banquier, dans un studio de TVA. Entre deux candidats, le réalisateur, Daniel Rancourt, me glisse à l'oreille: «Comment va ta mère?»

Il ne la connaît pas beaucoup. Il l'a vue une seule fois, je crois. C'était à une fête après le gala Metrostar, en 2002. Mais il s'en souvient. Parce que ma mère est inoubliable.

Je m'apprête à répondre à Daniel ce que je réponds tout le temps aux amis qui s'informent de ma maman: «Ma mère va bien, elle ne change pas. Toujours aussi passionnée de tout. Elle suit ses cours de taï chi, d'aquaforme, de peinture japonaise, elle va au musée, à l'OSM, à Ex-Centris. Elle lit six bouquins à la fois. Elle va à l'église tous les jours. Elle marche de Notre-Dame-de-Grâce à l'église Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal. Et s'arrête à l'hôtel Sofitel prendre un petit remontant. Cet été, elle retourne en voyage avec ma soeur, en France ou en Italie. Ma mère est plus en forme que moi.» Et là, Daniel m'aurait demandé: «Quel âge a-t-elle, déjà?» Je lui aurais dit: «86 ans à la fin du mois.» Et il aurait hoché la tête en répétant: «86 ans, wow!» Et ça lui aurait fait du bien.

Ça doit être pour ça que mes amis me demandent si souvent des nouvelles de ma maman. Ça les réconcilie avec le temps. Celui qui passe trop vite. Ils espèrent tous vieillir comme elle. En allant encore plus vite que le temps. En lui poussant dans le dos, au temps. En l'étirant. Ils ne me demandent pas quel est son secret. Ils la connaissent, alors ils le savent. Ma mère s'intéresse à tout. Des hibiscus aux étoiles. De Jean D'Ormesson à Céline Dion. Elle aime tout. Tout ce qui est vrai. Elle aime les gens et ce qu'ils font.

Je m'apprête donc à répondre à Daniel ce que je réponds tout le temps, mais je m'arrête. Car, pour la première fois de sa vie, ma mère ne va pas comme ça. Elle va plutôt comme ci. Alors je dis: «Ma mère a eu de petits ennuis de santé après les Fêtes. On lui a diagnostiqué de l'insuffisance rénale. Elle s'est fait poser un cathéter la semaine dernière. Elle devrait commencer la dialyse d'ici un mois.»

Je me sens bizarre. C'est la première fois que je parle de ma mère et que c'est aussi normal et plate que ça. Des bobos de personne âgée comme en ont toutes les personnes âgées. Il fallait bien que ça lui arrive un jour. Mais c'est fou, j'étais certain que ça ne lui arriverait jamais. Je me voyais, moi, au centre d'accueil, tout vieux, tout chauve, tout édenté, une infirmière me criant à l'oreille: «Comment va votre mère, monsieur Laporte?

- Ma mère ? Elle est en train d'escalader l'Everest. J'ai hâte qu'elle descende me voir.»

On pourrait croire que le temps a finalement rattrapé ma maman. Lui aussi a le goût d'être avec elle un peu. On le comprend. Mais il n'en est rien. Car même si, dialyse oblige, ma mère va courir un peu moins, dans sa tête, ça ira toujours aussi vite. Entre ses journaux, ses livres, son Scrabble, sa peinture, ses plantes, Des racines et des ailes, le Grand Prix de F1, les bons soins de ma soeur, les visites de toutes ses amies, ses petites sorties plus courtes, le temps va passer par là. Et elle va réussir à le semer, j'en suis certain, quelque part dans la maison.

Je sais bien, maman, que ça te fait de la peine de penser que tu n'en feras peut-être plus autant qu'avant. Que tu ne pourras plus autant impressionner la galerie. Que je ne pourrai pas raconter autant tes exploits. Mais ce n'est pas ce que tu fais que j'admire, qu'on admire, c'est qui tu es. On trouvait ça drôle, tes grandes marches de cinq heures. Mais ce qu'on aimait le plus, c'est quand tu étais à côté de nous. Parce qu'en étant juste à côté de toi, on se sent loin. On se sent en voyage. Dans un autre monde. Dans un monde meilleur.

Daniel m'a dit: «Je suis certain que ça va bien aller pour ta mère.» Et il a souri. Tendrement. Et j'ai tout compris. Ce n'est pas la liste de toutes les activités de ma mère qui fait du bien à mes amis quand je leur donne de ses nouvelles. C'est tout simplement le fait d'entendre parler d'elle. Parce que remonte à leur coeur le souvenir d'une personne bonne, d'une personne vraie. Et ça les réconcilie avec la nature humaine.

Bonne fête des Mères, maman!

De la part de ton petit gars et de tous ses amis qui pensent à toi.

Et bonne fête à toutes les mamans qui font du bien. Laissez-nous, aujourd'hui, vous en faire un peu.