En 2002, vous vous souvenez? Ce n'est pas si loin. Ça fait à peine sept ans. En 2002, la grosse crise, la grande peur, le psychodrame, c'était le terrorisme. Les experts étaient unanimes. La fin du monde était à nos portes. La Troisième Guerre mondiale faisait rage. Nous étions tous en danger. Nos vies tenaient à un fil de dynamite. On allait nous faire sauter. Rien de moins. Il fallait combattre le terrorisme. Partir en croisade. Sacrifier la vie de nos enfants. Pour mettre de l'ordre en Irak et en Afghanistan. Rien n'était plus vital. La sécurité était le mot du jour. La sécurité était la priorité.

O.K., O.K.!

En 2007, vous vous souvenez? Ce n'est pas si loin. Ça fait presque deux ans. En 2007, la grosse crise, la grande peur, le psychodrame, c'était le réchauffement de la planète. Les experts étaient unanimes. La fin du monde était à nos portes. La race humaine était condamnée à disparaître de la surface du globe. Pas dans 1000 ans. Dans 50 ans, 100 si on est chanceux, 25, si on ne l'est pas. Rien de moins. Il fallait changer nos habitudes. Il fallait changer le monde. Signer l'accord de Kyoto, baisser nos émissions de gaz à effets de serre et fermer le robinet quand on se brosse les dents. L'environnement était le mot du jour. L'environnement était la priorité.

 

O.K., O.K.!

En 2008, vous vous souvenez? Ce n'est pas si loin, on est encore dedans. Jusqu'à jeudi. En 2008, la grosse crise, la grande peur, le psychodrame, c'est la crise économique. Les experts sont unanimes. La fin du monde est à nos portes. C'est le krach. La Grande Dépression. Les commerces vont fermer. Les gens vont perdre leur job. On va tous se retrouver dans la dèche. Rien de moins. Il faut aider les banques, aider l'industrie automobile. Il faut s'endetter pour les renflouer. L'économie est le mot du jour. L'économie est la priorité.

O.K.! O.K.!

Mais je me demande: et la sécurité? Est-ce que le problème est réglé?

Euh... Non. Pas du tout. Ben Laden est toujours dans sa grotte. Il y a toujours du monde qui saute en Thaïlande, en Inde, au Pakistan, en Algérie, dans plein de pays, mais comme ce n'est pas à New York, on en parle moins. C'est moins grave. Les Américains vont se retirer de l'Irak. Le Canada, de l'Afghanistan. Ça coûte trop cher pour rien. Mieux vaut aider GM. C'est la priorité.

Oui mais il me semblait que la fin du monde était à nos portes. Que, si on ne faisait rien, on allait tous mourir. C'est pour ça qu'il fallait partir en guerre. C'est pour ça qu'il fallait dépenser pour s'armer...

Ben finalement... Che sera, sera. On ne peut pas vraiment faire grand-chose, de toute façon. L'avion qui descend sur le World Trade Center, ça ne nous empêche plus de dormir. L'indice Dow Jones qui descend à la Bourse, c'est plus angoissant.

Et l'environnement? Est-ce que le problème est réglé?

Euh... Non plus. Pas du tout. Les accords de Kyoto ne sont pas respectés. Le Canada pollue toujours autant. Les États-Unis aussi. La Chine, de plus en plus. Mais il ne faut pas implanter de mesures trop contraignantes, ça risque de faire mal à l'économie. Et l'économie est la priorité.

Oui, mais même si les marchés financiers sont en santé, si le mercure atteint 60° à l'ombre, les profits ne fondront pas. Les courtiers, oui. Aider l'industrie automobile, n'est-ce pas un non-sens quand on nous dit que l'automobile est la plus grande menace pour la planète?

Euh... Faut pas chercher de logique. Il n'y a pas de logique. Les priorités mondiales, c'est comme la mode. Une année, les jeans serrés. Une année, les jeans larges. Une année, les jeans taille basse. Une année, la sécurité. Une année, l'environnement. Une année, l'économie.

Une crise en chasse un autre. Le problème, c'est que l'ancienne crise ne disparaît pas. Elle reste là. Et devient encore plus catastrophique.

La vérité, c'est que ça fait 10 000 ans qu'il y a un problème de sécurité sur la Terre. Que des hommes enlèvent la vie à d'autres hommes. Ça fait 10 000 ans qu'il y a un problème environnemental sur la Terre. Que des hommes se servent de la planète sans penser aux conséquences. Ça fait 10 000 ans qu'il y a un problème économique sur la Terre. Que des hommes font des profits sur le dos d'autres hommes. Et tous ces problèmes ne se règlent jamais. On ne fait que les oublier en pensant à un autre. On ne fait que s'alarmer périodiquement.

En 1985, on chantait We are the World pour venir en aide aux victimes de la famine en Afrique. La famine sévit toujours en Afrique, mais on a changé de toune. On était tanné de l'entendre.

Aujourd'hui, on chante pour les victimes de la guerre ou de la pauvreté. Ça ne change rien. Mais ça nous donne l'impression qu'on s'en occupe.

On pense que le progrès, c'est la roue, le train, l'avion, la télé, l'internet. Ce sont de grandes inventions matérielles. Ce sont des belles bébelles. Mais qu'est-ce que ça change? On se tue avec des F-18 au lieu de se tuer avec des pierres. Mais on se tue quand même.

Il faut inventer dans nos têtes. Inventer dans nos coeurs. Inventer l'amour. Inventer le respect. Inventer l'égalité. C'est ça, la priorité.

Le progrès, le vrai progrès, ce sera la première génération qui parviendra à cesser de tourner en rond, à cesser de répéter les mêmes erreurs que celle qui la précédait. Une génération d'humains qui parviendra à enrayer la guerre, à cesser la destruction de la planète et à éliminer la pauvreté.

C'est ce que je nous souhaite pour 2009. Que cette génération arrive. Que cette génération se lève. Rien de moins. Bonne année, tout le monde!

Pour joindre notre chroniqueur: stephane@stephanelaporte.com