Il neige à Montréal. C'est comme ça depuis toujours. C'est une vieille nouvelle. Il neigeait dans le temps de Maisonneuve. Pas celui qui anime une tribune téléphonique à la Première Chaîne. L'autre. Le sieur. Son cheval restait pris dans la neige. Ça lui prenait deux jours pour aller voir son chum le seigneur de Longueuil dans le 450.

Il neige à Montréal, sporadiquement, de novembre à avril. Quand il neige en mai, on peut s'étonner. Quand il neige en septembre, ça peut nous surprendre. Pas le 9 décembre. C'est normal. C'est notre destin. Notre identité.

 

Il y a de la neige à Montréal comme il y a de la pluie à Londres, comme il y a des pigeons à Venise. Avez-vous déjà vu un Londonien sacrer parce qu'il pleut sur sa ville? Avez-vous déjà vu un Vénitien s'exciter parce qu'il y a des pigeons sur la place Saint-Marc? Un Vénitien s'écrier: «Il y a plein de pigeons! Il y a plein de pigeons!» Et les hélicoptères des Nouvelles de Venise se mettent à survoler les pigeons: «Regardez tous ces pigeons rassemblés sur la grande place... Il y en a vraiment beaucoup!» Ben non! Les Vénitiens passent à côté des pigeons sans les voir. Les touristes capotent, mais pas les gens de LA place. Ils sont habitués.

Comment ça se fait que nous, on ne s'habitue pas? Comment ça se fait que chaque fois qu'il neige à Montréal, c'est comme si on avait trouvé un pétard à l'UQAM? C'est l'état d'urgence. La manchette de tous les téléjournaux. Le sujet de conversation de tous les bureaux.

C'est notre marque de commerce, la neige. Allez partout sur la planète, dites que vous venez de Montréal, on va vous répondre: «Ah oui, il y a de la neige, là-bas!»

Comment se fait-il qu'un Africain ou un Chinois sait qu'il y a de la neige à Montréal, alors que Pierre Bruneau et Bernard Derome l'ont appris mardi dernier?

Pourtant, notre arrière-arrière-grand-père a vu neiger, et notre arrière-grand-père aussi. Ça devrait être dans nos gènes. Mais non. Dès qu'il y a une bordée, on panique. Et les gens se plaignent: «Ça m'a pris trois heures pour traverser le pont.» Ben oui! Il neige, le smatte! La neige, c'est glissant. Les autos roulent plus lentement, donc ça prend plus de temps. C'est ainsi.

C'est comme si, chaque fois qu'il fait nuit, on s'étonnait de moins bien voir. «Hey! Hier à minuit, il faisait tellement noir, il a fallu que j'allume la lumière pour aller aux toilettes. Débile!»

Si on a compris le concept de la nuit, pourquoi on ne comprend pas celui de la neige? Ça tombe, ça reste, ça nous ralentit.

On voudrait que les cols bleus la ramassent avant qu'elle soit tombée. Qu'ils l'attrapent au vol. Pourquoi ne pas dépêcher une armée de camions sur le pont Jacques-Cartier quand il neige? La neige tomberait directement dans les camions. Quand l'averse serait finie, la neige serait déjà dans les camions. Ils s'en iraient. Le tour serait joué. C'est sûr que, tout le temps de la chute, l'armada de camions bloquerait le pont. On ne serait pas plus avancé.

Calmez-vous un peu avec le déneigement. Arrêtez d'engueuler les responsables. Ramasser, ça prend du temps. Vous devriez le savoir. Vous l'avez déjà vécu. Sinon, je vais vous le faire vivre. Prenez votre boîte de céréales, votre boîte de Frosted Flakes, tournez-la à l'envers, videz le contenu sur le plancher, et maintenant ramassez. Mettez-vous à quatre pattes et ramassez tous les flocons. Un par un. Allez-y! On va attendre... C'est long...

Non, non, ne vous relevez pas tout de suite, il y en a qui sont tombés en dessous du frigidaire et derrière le comptoir. Quoi? Vous dites que c'est pas grave, le dessous du frigidaire et le derrière du comptoir? C'est aussi ce que les cols bleus disent des petites rues. On a ramassé le principal, au diable les recoins. C'est juste que, si tu habites le dessous du frigidaire ou le derrière du comptoir, tu trouves ça moins drôle. Mais il faut que tu comprennes. Parce qu'une chute de neige, ça ne tombe pas seulement sur le plancher de la cuisine. Ça tombe partout, partout, partout. Pas une rue, pas un boulevard, pas un trottoir qui n'en reçoit pas. La neige, c'est la grande justice divine. Il neige autant à Westmount qu'à Hochelaga-Maisonneuve. La seule injustice, c'est que le gars de Westmount est parti en Floride. Mais ça, ce n'est pas la faute de la neige.

Montréal est couvert à la grandeur et on voudrait que ça soit parti en deux heures. Les nerfs! La neige, ce n'est pas une substance radioactive ou explosive. C'est juste de l'eau prise ensemble. Ça ne nous mangera pas. On peut même s'amuser avec. Faire des balles de neige, des forts et des bonshommes. Pas besoin de la faire disparaître au complet. De toute façon, il va en tomber d'autre. Je sais que, pour les piétons, c'est plus difficile de se déplacer sur les trottoirs enneigés, je le sais très bien. Mais qui a dit que la vie doit être toujours simple? Il y en a qui escaladent l'Himalaya pour relever des défis. Les trottoirs enneigés de Montréal, c'est notre petit Himalaya à nous. On est encore plus heureux quand on parvient à arriver chez soi.

Cessons d'être ridicules et apprenons à vivre avec la neige au quotidien. Ce n'est pas une plaie. C'est juste de la neige. Je n'en peux plus de voir tous les commentateurs traiter ça comme si c'était une catastrophe.

Le problème, quand il neige, ce n'est pas la neige, ce sont les voitures. La neige est ici chez elle, bien avant le char.

De toute façon, il n'y en aurait pas qu'on se plaindrait encore. Noël sans neige, c'est effrayant. Noël sans neige, c'est pas Noël. Il y en a, soyons contents. Il ne faut pas toute la ramasser. Il faut en garder pour avoir un Noël blanc.

Notre pays, ce n'est pas le Canada, ce n'est pas le Québec, c'est l'hiver. Il faudrait en être fier. Il faudrait l'assumer.

Pour réfléchir le soleil, il n'y a rien de plus beau que la neige.

Joyeuses neiges, tout le monde! Et bons pneus d'hiver!

Pour joindre notre chroniqueur: stephane@stephanelaporte.com