Les Canadiens conduisent les mêmes GM, Ford et Toyota que les Américains. Ils écoutent les mêmes Madonna, Timberlake et Beyoncé que les Américains. Ils regardent les mêmes ER, CSI, 24 que les Américains. Ils jouent au baseball, au basketball et au golf comme les Américains. Mais quand on en arrive au football, ah ben là, c'est pas pareil! Allô la différence! On se distingue. On fait nos originaux.

Bon d'accord, le football est le même sport pour les Canadiens et les Américains. C'est déjà ça. Partout ailleurs sur la planète, le football est un sport où le pied (foot) tape sur un ballon (ball). Au Canada et aux États-Unis, le football est un sport où l'on lance et attrape le ballon (ball) avec ses mains (hands). Qu'est-ce que le foot a à voir là-dedans? Pas grand-chose, à part un botté de temps en temps. Ce serait plus judicieux que ce sport se nomme buttball, parce que les joueurs se retrouvent sur les fesses aux 10 secondes.

Toujours est-il que les deux seuls pays à jouer au buttball y jouent de façon différente. Les Américains disposent de quatre essais pour traverser 10 verges, les Canadiens, de seulement trois. Est-ce parce que les Canadiens ont moins de chances dans la vie que les Américains? Peut-être... Une chose est sûre, un Canadien doit dégager plus souvent qu'un Américain.

Au football américain, il y a 11 joueurs sur le terrain. Au football canadien, il y en a 12. Est-ce parce que ça prend plus de Canadiens pour réaliser la même chose que les Américains? J'espère que non. C'est peut-être parce que les familles canadiennes étaient plus nombreuses et que le petit dernier n'avait pas le goût de faire la cheerleader.

Le terrain de football canadien est plus grand que celui du football américain. Le nôtre fait 110 verges sur 65, tandis que le leur fait 100 verges sur 531/3. Le Canada étant le pays des grands espaces, ça s'explique. C'est peut-être aussi parce que, lors du tout premier match, le gars qui a délimité le terrain avait de grands pieds. Toujours est-il qu'un Canadien doit donc virailler plus longtemps pour atteindre son but qu'un Américain.

Autres différences: les meneuses de claque canadiennes sont plus habillées que leurs consoeurs américaines, surtout à Edmonton en novembre. Les avancées technologiques des diffuseurs qui couvrent les matchs ne sont pas les mêmes non plus. Pendant que John Madden peut déplacer chaque joueur un à un sur le terrain, Pierre Vercheval attend que TSN présente la reprise qui convient à ce qu'il est en train de dire.

Il est quand même remarquable que, au fil des années, le football américain n'ait pas assimilé le nôtre. Il faut croire que Larry Smith est plus protectionniste que Stephen Harper. C'est donc à travers le football que le Canada vit son émancipation face aux États-Unis. Notre voisin a beau être un géant, nous, on garde nos trois essais. Lalala! Vive la société distincte canadienne! Vive le Canada libre! Les Canadiens jouent au football comme ça leur plaît.

Le hic, c'est que la majorité des joueurs des équipes canadiennes sont... américains. Il y a 46 joueurs actifs avec les Alouettes, 25 sont américains et 21 sont canadiens. Le génie derrière la merveilleuse saison de nos Oiseaux est un Américain, Marc Trestman. Toute sa vie, il a élaboré des stratégies pour un football à quatre essais, sauf cette année. Ça ne l'a pas trop mêlé.

Outre de très, très, très rares exceptions, les Américains qui viennent jouer avec nous le font parce qu'ils ont été rejetés du football américain. Souvent parce qu'ils sont plus petits. Et nous les adoptons. Car nous aussi, nous sommes plus petits. Et c'est beaucoup ça, la Coupe Grey: le championnat des plus petits. C'est ce qui fait son charme. Il n'y a rien de super comme au Super Bowl. Pour une fois, le Canada se prend pour ce qu'il est. Un pays du Nord, immense mais peu peuplé avec des moyens réduits, avec des moyens artisanaux. Les joueurs sur le terrain ne gagnent pas plus cher que les gens dans les gradins. Ils jouent au football parce que, pour eux, c'est la meilleure façon de gagner leur vie. Comme le plombier qui a choisi de réparer des tuyaux. Comme le camionneur qui a choisi de conduire son 10 roues.

La Coupe Grey, c'est le championnat des modestes. Mais la victoire est aussi grande. Car la valeur d'un joueur ne dépend pas de la machine, des gros contrats et des pubs à 3 millions. Elle dépend de sa capacité à se sacrifier pour que l'ensemble du groupe réussisse. Et que ce soit au football canadien ou américain, seuls les équipiers prêts à se donner, prêts à avoir mal, prêts à y rester parviennent à gagner.

On a tous un penchant pour les négligés. On a tous un faible pour Rocky. La Coupe Grey, c'est le championnat de tous les Rocky du football. De tous ceux qu'on ne croyait pas assez bons et qui ont droit à une deuxième chance.

Le match de ce soir ne vous impressionnera pas comme un match du Super Bowl. Mais si vous regardez l'étincelle de volonté et d'authenticité dans les yeux de chacun des joueurs, il risque de vous toucher davantage.

Go, Alouettes, Go!