Ce qui m'a le plus frappé lors du débat des chefs, c'est... la table. La grande table ovale autour de laquelle étaient assis May, Harper, Layton, Dion, Duceppe et le modérateur. D'abord, pourquoi une table au lieu d'un lutrin? Nos chefs sont-ils fatigués? Trois heures debout, est-ce trop long pour leurs vieilles jambes? Si le très antique John McCain est capable de rester debout, pourquoi pas eux? Pourquoi s'asseoir?

Est-ce l'influence de 110%, la seule émission de débats qui pogne? Si oui, selon le plan de table, Gilles Duceppe jouait le rôle de Jean Perron, Stéphane Dion, celui de Réjean Tremblay, Jack Layton, celui de Gabriel Grégoire, Elizabeth May, celui de Pierre Rinfret et Stephen Harper, celui de P.J. Stock.

 

Les comparaisons tiennent la route. Duceppe a le sens de la formule comme Perron. Si le chapeau te fait, c'est pas une raison pour le mettre. Dion est un professeur, comme Réjean. Layton est l'outsider, comme Grégoire. May est celle qui porte le plus de bijoux, comme Pierre Rinfret. Et Harper est aussi difficile à comprendre en français que Stock.

Cela dit, à 110%, les débatteurs sont assis, mais pas vraiment autour d'une table. Ils sont derrière des comptoirs. Comme dans un bar. La table n'est pas le mobilier des débats. La table est un symbole d'union. Pas d'affrontement. Quand on se réunit autour d'une table, c'est parce qu'on s'aime bien. Parce qu'on fait partie de la même gang. Il arrive parfois que des opposants s'assoient à la même table, mais c'est pour essayer de s'entendre. Pour arriver à un accord. C'est une table de concertation.

Aussi en voyant nos cinq leaders assis autour de la grande table, on avait l'impression d'assister à un conseil d'administration plutôt qu'à un combat. Ça faisait club privé. Chacun a ses petites exigences, mais, au fond, on est tous dans la même équipe. Celle des vestons foncés. Il y a des moments où l'on se sentait de trop. Comme s'il n'y avait pas de place pour nous.

Je vous le dis, l'élément le plus révélateur du débat des chefs 2008, c'est la table.

Elle n'était pourtant pas très design. Les Canadiens n'ont pas dû se précipiter chez Brault & Martineau le lendemain matin pour se la procurer. Elle était verdâtre et massive. Et le centre de table était particulièrement affreux. On avait caché ce qui devait être un gros trou par un morceau de feutre ou de caoutchouc noir avec une feuille d'érable rouge au milieu, accroché avec des espèces d'agrafes tout autour. La feuille d'érable servait donc de bouche-trou pour nous empêcher de découvrir ce qui se passait en dessous. Sans cette applique, on aurait pu voir les conseillers des partis en train de souffler les réponses à leurs leaders.

Bien qu'affreuse, c'est la table qui a dominé le débat. C'est elle qui a donné le ton. Assis, on ne parle pas de la même façon que debout. Debout, on s'exprime. Assis, on jase. Debout, on proclame de grands idéaux. Assis, on donne sa petite opinion. Debout, on se doit d'être éloquent. Assis, on peut ne rien dire, comme Harper l'a fait, et s'en tirer avec les honneurs. Debout, on parle pour convaincre. Assis, on parle pour parler. D'ailleurs, le débat n'était pas sans rappeler la série Parler pour parler de Janette Bertrand. Il manquait la bouffe, bien sûr. Mais crise financière oblige, les chefs auraient été malvenus de manger au visage de leurs concitoyens. Il manquait aussi Violette pour venir relancer le débat. J'aurais bien vu la sympathique serveuse donner une tape dans le dos de Stéphane Dion pour qu'il cesse de se tenir le dos voûté. On ne vote pas pour un chien battu. Même s'il s'appelle Kyoto. Elle aurait pu aussi verser un grand verre de Pepsi au premier ministre, cela l'aurait sûrement réveillé.

Ce qui frappait lorsqu'on voyait le plan d'ensemble de la table, c'est l'immense espace entre Stéphan Bureau et Elizabeth May. Pourtant, à la droite de Bureau, Duceppe était tout près de lui. Mais à sa gauche, il y avait un trou grand comme l'Atlantique. Cette asymétrique distance entre l'animateur et May faisait en sorte que Stephen Harper se retrouvait complètement au bout de la table. La position du gars de trop. De celui qui ne faisait pas partie de la gang. Et c'était pas mal ça puisque les quatre autres ne cessaient de s'en prendre à lui. Si Harper avait été assis entre Layton et Duceppe, là où était Dion, il aurait fini la soirée avec un mal de coeur à force de tourner la tête. Tandis que là, du bout de la table, il avait vue sur tous ses détracteurs. Et il pouvait s'en aller sans déranger personne.

En anglais, cependant, la table n'était pas carrée, c'était la même, mais le tirage au sort des places a fait en sorte que Harper et May ont échangé leurs fauteuils, tout comme Dion et Layton, Duceppe restant tout près de l'animateur. Layton et Harper étaient face à face. Et c'est entre eux que le débat s'est joué. Layton a de loin donné la meilleure performance des chefs dans l'opposition. Et Harper a été beaucoup plus volubile que la veille.

On l'a tous vécu quand on va dîner avec une gang. Si on n'est pas assis au bon endroit, la soirée peut être longue, très longue.

Bref, ce débat attablé m'a laissé une drôle d'impression. Le Canada a beau être un grand pays, il y avait quelque chose de petit, de tranquille, d'assis, de convenu dans cette assemblée. Dans cette amicale. Rien pour nous inspirer.

On avait plus envie d'écouter ce qui se disait à la table d'à côté.

Les deux gagnants du débat: la table et le Bureau.