Je ne suis pas convaincue qu'il faille sortir le champagne, mais cela vaut au moins la peine d'être souligné, disons, avec une petite bière de fin d'été. (Que voulez-vous, bien des banquiers ont dû faire une croix sur leur prime en 2008) La crise du crédit qui s'étire depuis un an semble chose du passé, au Canada du moins. Parce qu'aux États-Unis, il n'y a toujours pas de fin en vue.

La dernière ronde de résultats des banques canadiennes a soulagé les inquiétudes. Dans l'ensemble, nos grandes banques ne réservaient aucune mauvaise surprise. Même que les investisseurs ont trouvé de quoi se réjouir.

La Banque Nationale, la banque canadienne la plus vulnérable aux déboires du papier commercial adossé à des actifs vendu par des boutiques indépendantes, a déclaré hier un profit record de 286 millions.

Disons qu'elle peut remercier Luc Bertrand, ayant empoché 57 millions (après impôt) à la vente de la Bourse de Montréal à la Bourse de Toronto. Mais même en faisant exception de ce coup d'argent, les profits de la banque ont tout de même progressé de façon modeste (+4% par rapport à l'an dernier) grâce, entre autres, à une gestion plus serrée des coûts. Du bon travail, quoi.

La Banque CIBC, la banque la plus exposée aux prêts immobiliers à haut risque aux États-Unis, a de son côté pris une provision pour perte de près de 900 millions. Ce montant est énorme, vraiment, mais il est à des lieues de la provision de 1,5 milliard de dollars que les analystes anticipaient pour la plus délinquante des banques canadiennes. (Curieux qu'on s'en réjouisse, non ?) À tout événement, la CIBC peut écrire ses résultats financiers à l'encre noire, ce qu'elle n'avait pas encore fait depuis le début de son année financière.

Imaginez, la Banque Toronto-Dominion a même relevé son dividende! La hausse est modeste, certes, soit de 59 cents à 61 cents par action, mais elle fait office de symbole dans cette industrie qui panse encore ses plaies après une horrible année 2007-2008.

Vrai, la TD et la Banque Royale ont tous les deux affiché des profits en recul de 10%. Mais on parle tout de même ici de bénéfices nets de près de 1 milliard et de 1,3 milliard, respectivement. Bref, on est loin du cauchemar américain.

En fait, le vrai problème des banques canadiennes se situe plutôt du côté de l'économie. L'économie intérieure a soutenu les banques jusqu'à tout récemment, mais elle n'est évidemment pas immunisée au ralentissement aux États-Unis et à la force du dollar canadien. Il est d'ailleurs curieux qu'alors que les États-Unis se ressaisissent - à preuve la révision à la hausse, hier, du produit intérieur brut, qui a fait une étonnante progression de 3,3% au deuxième trimestre -, le Canada, lui, est à un cheveu de tomber dans une récession technique. Il s'agit d'une économie qui se contracte pendant deux trimestres consécutifs. Statistique Canada nous donnera d'ailleurs l'heure juste ce matin.

Le Canada a bien besoin que la crise immobilière se résorbe aux États-Unis et que le consommateur américain retrouve de son élan, sans pour autant retomber dans ses folies dépensières d'hier. Et pour cela, le gouvernement américain devra vraisemblablement se porter à la rescousse de Freddie Mac et Fannie Mae, deux géants hypothécaires qui menacent de faire crouler avec eux le marché immobilier des États-Unis, avec leur quelque 5,2 billions de prêts qu'ils garantissent ou qu'ils détiennent en propre. C'est près de la moitié de tous les prêts hypothécaires aux États-Unis!

Nombre d'Américains sont révoltés, non sans raison, par ce qu'ils considèrent comme une grande iniquité dans ce sauvetage annoncé. Les profits vont aux actionnaires, alors que les pertes vont aux contribuables ! Mais cet arrangement, inscrit dans la loi, est implicite depuis la création de ces deux institutions.

Le gouvernement américain a créé Fannie Mae (Federal National Mortgage Association) en 1930 pour faciliter l'accès à la propriété. Fannie rachète les hypothèques des banques, ce qui permet à celles-ci de prêter l'argent libéré à d'autres acheteurs de maisons. Le gouvernement a lancé Freddie Mac en 1970 pour casser le monopole de Fannie Mae et accroître la concurrence dans le marché hypothécaire secondaire. Fannie Mae a été privatisée en partie en 1968, tandis que Freddie Mac est depuis le début une entreprise du secteur privé.

Fannie Mae et Freddie Mac n'ont pas offert de prêts hypothécaires à haut risque; les deux entreprises, strictement réglementées, n'en avaient pas le droit. Mais elles souffrent de l'écrasement des prix des maisons aux États-Unis. (Le tiers des propriétaires de maisons récents (cinq ans ou moins) remboursent un prêt d'une valeur supérieure à celle de leur propriété, rapportait récemment Bloomberg.) De plus en plus d'emprunteurs se trouvent ainsi en défaut, même ceux qui s'étaient qualifiés auprès de Fannie et de Freddie.

Ainsi, les deux entreprises ont perdu près de 11 milliards ces derniers mois, des sommes colossales qui effraient les prêteurs qui rechignent, maintenant, à prêter des capitaux à Fannie et à Freddie.

Si le Trésor américain se porte à la rescousse des deux institutions financières, le président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, a récemment prévenu le secteur financier qu'il n'y aura dorénavant plus aucun filet de sécurité. Des sauvetages coûteux à la Bear Stearns, c'est du passé.

En lieu et place, les institutions financières peuvent s'attendre à une réglementation beaucoup plus ambitieuse et vaste du secteur financier. Ainsi, les banques d'affaires seraient soumises à des règles aussi sévères que celles qui s'appliquent aux banques commerciales. Intention louable, certes, mais qui ne sort pas encore les États-Unis de leur pétrin. Les institutions financières américaines en sont encore à faire le ménage au lendemain de ce gros party qui a complètement dégénéré.