Il faisait bon retrouver l'ambiance particulière d'une rencontre d'athlétisme. Une grande salle presque silencieuse avec plusieurs personnes musclées qui semblent ne rien faire, qui se déplacent lentement, sans but, les yeux dans le vide, perdues dans leurs pensées.

Et puis un puissant coup de pistolet déclenche un sprint éclair sur 60 mètres. Un autre pour 60 mètres haies. Des bolides passent...

Et puis encore le silence, qui est finalement interrompu par une partie de la foule qui tape des mains en cadence pour encourager un perchiste. Suivi d'un grand cri, et c'est tout.

Et puis le silence, et des femmes fortes qui lancent le poids.

Mine de rien, Montréal n'avait pas accueilli une compétition d'athlétisme de cette envergure depuis près de 20 ans - les championnats canadiens juniors et jeunesse dans un «ouvert» qui regroupait plusieurs athlètes olympiques.

La foule? Mettons que dans les moments forts de ces quatre jours de compétition, samedi soir, par exemple: 500 personnes... pour 700 athlètes.

À Toronto, il y aurait au moins le double de spectateurs, entend-on...

Sachez que ce championnat canadien est le premier de cinq que le Québec présentera. Vous vous reprendrez l'an prochain, sinon vous raterez un bon spectacle, pour pas cher.

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Parmi les perchistes, il y avait David Foley, de Sherbrooke. Il a 30 ans, il étudie en génie mécanique à la jolie Université de Sherbrooke et la perche est sa passion...

«J'ai commencé à 14 ans avec un professeur français qui était venu travailler en Estrie. J'étais son seul perchiste, puis mon frère jumeau m'a rejoint, puis un de nos amis...

«Le coach français est parti, et c'est maintenant moi l'entraîneur de perche à Sherbrooke. On a un bon petit groupe.»

Et David s'emballe lorsqu'on lui pose des questions...

«Le perchiste devient un gymnaste quand il quitte le sol. Il doit gérer son déplacement. Avant, il est avant tout impliqué dans un dur combat mental.

«Pendant sa course, il doit se convaincre que tout va bien, la vitesse, la foulée, la position de la perche... Et puis il doit prendre une décision lorsqu'il arrive aux quatre dernières foulées. S'il n'a pas réussi à se convaincre que tout est parfait, il ne sautera pas, il passera tout droit.

«Dans la carrière de tout perchiste, il y a eu une période où il était incapable de sauter. Il n'était jamais convaincu que toutes les bonnes conditions étaient réunies. C'est un sport assez dangereux. Il y a des blessures sérieuses, des morts... Alors il passait tout droit course après course. C'est fâchant, c'est un blocage psychologique, mais il faut passer à travers et poursuivre sa carrière. La perche, ça demande des couilles en acier...

«Je suis certain que tous ces combats mentaux que nous livrons en perche nous préparent à affronter n'importe quelle épreuve dans la vie après l'athlétisme.

«Ce n'est pas pour rien que les perchistes du monde entier forment une famille. On ne joue pas à la perche comme on joue au soccer. On ne fait que tenter de se surpasser.

«Les perchistes se parlent, et après la compétition, ils vont prendre un repas ou un verre ensemble. C'est ce que nous ferons ce soir. J'ai remarqué la même chose chez les décathloniens. Ils fréquentent d'autres décathloniens...»

David était satisfait de ses sauts, samedi dernier. Il m'a accueilli en souriant après avoir raté sa dernière tentative pour un nouveau sommet personnel.

Nous avons évidemment parlé du Français Renaud Lavillenie, nouveau recordman mondial, tombeur du champion de ma génération, Sergei Bubka.

«J'ai rencontré son frère, qui est perchiste, aux Jeux de la Francophonie à Nice. Il m'a parlé de Renaud.

«À l'époque de Bubka, il était seul au monde. Il voyageait et les gens venaient le voir battre son propre record. Lavillenie s'est fait connaître en battant le record de quelqu'un d'autre. C'est un parcours très différent.» Que fera-t-il maintenant?

«Je pense qu'il va battre son record. Il va sauter plus haut. Il n'est pas très costaud, mais il a une force mentale exceptionnelle. Il ne se pose pas de questions, il saute...»

David Foley nous dit qu'il sera entraîneur de perche le plus longtemps possible, jusqu'à ce que la vie, le travail, la famille ne le lui permettent plus.

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Karine Belleau-Béliveau, coqueluche des médias locaux, a terminé au deuxième rang dans la finale du 800 mètres. Un finish très serré, où elle croyait bien pouvoir coiffer la meneuse au fil.

La foule y croyait aussi, et nous avons assisté à un moment excitant. Pour cette athlète qui s'entraîne au Complexe sportif Claude-Robillard, courir devant partisans, famille et amis la comblait pleinement, deuxième place ou pas.

«Je suis contente de voir que la rencontre est très bien organisée. Tout fonctionne comme prévu, pas de retards ni d'imprévus jusqu'ici.

«Il pourrait y avoir plus de spectateurs, mais c'est un début pour Montréal. Nous devons faire connaître notre sport.»

Avec David et Karine, l'athlétisme local compte sur de bons porte-parole.

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Le bon vieux Complexe sportif Claude-Robillard... Pendant que 500 personnes assistaient à la rencontre d'athlétisme d'un côté, autant de spectateurs étaient présents à une compétition de nage synchronisée à la piscine voisine.

Si l'on ajoute les habitués qui sont toujours là pour tenir la forme, le bâtiment le plus actif de notre héritage olympique grouillait de monde, samedi dernier.

Ça nous réjouit un peu, non?

Juste un petit bémol? Un tout petit?

Il serait peut-être temps d'enlever les décorations de Noël à l'entrée sud.