Il est déjà révolu, le temps où je recevais de charmants colliers en macaroni ou des chansons qui font fondre le cœur comme cadeau de fête des Mères.

Mais je ne peux me plaindre. J’ai quand même eu un beau cadeau cette semaine. Le Petit Larousse a reconnu que la « charge mentale » existe. Ce n’est pas rien, me disais-je alors que je filais à vélo vers le travail, en pensant à tout ce que j’avais à faire, non sans crainte de me faire emportiérer comme une nounoune.

Les mères ne peuvent que se réjouir de cette reconnaissance par le dictionnaire de leur travail invisible. Sauf qu’en voyant que le Larousse admet en même temps que « charge mentale » le québécisme « nounoune », mais pas son pendant masculin « nono », on a quand même l’impression que le cadeau offert aux femmes est doublé d’une petite gifle. Aux dernières nouvelles, il y avait parité dans le domaine de la nounounerie. Mais pas dans le Larousse. Bonne fête des Mères, les nounounes ! Et bonne chance avec votre charge mentale.

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Plus que des nouveaux mots en cadeau, ce qui aurait été vraiment apprécié pour la fête des Mères, c’est un geste fort. Par exemple : profiter des importants travaux de rénovation à l’Assemblée nationale pour y inclure une garderie.

Quoi ? Il n’y en a pas déjà une ? En 2019 ? Dans un Québec où on prône l’égalité hommes-femmes et la parité dans le monde politique ? Alors que l’on vient de dépenser 60,5 millions pour les plus importantes rénovations en 100 ans à l’Assemblée nationale et que l’on s’apprête à inaugurer le 29 mai un nouveau pavillon d’accueil ?

Eh bien non ! On s’est beaucoup préoccupé ces dernières années de la place du crucifix à l’Assemblée nationale. On s’est malheureusement beaucoup moins intéressé à la pertinence d’avoir une garderie dans cette même Assemblée nationale. À l’heure où on tente d’attirer des femmes en politique, la question mérite pourtant que l’on s’y attarde.

À plus d’une reprise, depuis une quinzaine d’années, des demandes ont été faites en ce sens. En mars 2017, la Coalition avenir Québec est revenue à la charge en demandant au secrétaire général de l’Assemblée nationale, Michel Bonsaint, de revoir les plans de rénovations du parlement pour y inclure un service de garde.

La députée caquiste Lise Lavallée, qui était à l’époque porte-parole en matière de condition féminine, et sa collègue Sylvie D’Amours, qui était alors porte-parole en matière de famille, y voyaient une belle occasion pour l’Assemblée nationale de montrer l’exemple. « Il nous avait semblé que, dans le cadre des travaux importants qui n’avaient pas encore commencé, ce serait important de sensibiliser l’Assemblée nationale pour qu’un espace soit réservé pour une éventuelle garderie. Pour répondre à la réalité du travail du personnel et des députés. »

Vu les horaires atypiques à l’Assemblée nationale, qui peuvent s’étirer souvent très tard le soir, l’idée était d’avoir une halte-garderie qui offre aux parents une proximité avec leurs enfants et une flexibilité.

Et puis ? Et puis, pas grand-chose. On n’a pas dit oui. On n’a pas dit non… « On ne m’a jamais répondu qu’on ne pouvait pas le faire, précise Lise Lavallée. J’avais eu un accusé de réception de Michel Bonsaint qui m’avait dit, à l’époque, qu’il y avait déjà eu une réflexion à ce sujet en 2002 et qu’il était ouvert à poursuivre cette réflexion. »

La réflexion semble s’être muée en procrastination. Et puis, il y a eu l’été. Et puis, il y a eu un sondage interne avec un faible taux de réponse qui semble s’être perdu quelque part dans les courriels du personnel politique. Et puis, il y a eu une campagne électorale. Finalement, deux ans plus tard, les travaux sont finis et la halte-garderie brille toujours par son absence, même si toute une nouvelle génération de jeunes parents à l’Assemblée nationale aurait pu en bénéficier.

Pendant ce temps, à Ottawa, cela fait des années qu’une garderie existe sur la colline parlementaire. À fort coût pour les parents, il faut le dire, l’Ontario n’ayant pas un programme universel de garderies enviable comme le nôtre. Mais quand même… Depuis la vague orange qui avait amené son lot de jeunes députés, les bébés et les jeunes enfants font partie du quotidien des parlementaires. On ne s’étonne plus de voir une députée qui allaite au travail. Et en 2016, on a même lancé un service de gardiennage sur demande à la Chambre des communes.

Pourquoi le projet de garderie n’a-t-il jamais abouti à Québec ? À la direction des communications de l’Assemblée nationale, on m’explique que, dans le passé, un projet d’implantation d’un Centre de la petite enfance (CPE) au parlement a été étudié à quelques reprises sans jamais être retenu, car le secteur de la haute-ville de Québec est déjà bien desservi quant au nombre de places en garderie.

Cela dit, le projet de halte-garderie (qui, contrairement à un CPE, ne requiert pas de permis à proprement parler, mais uniquement le respect des mêmes critères liés à la sécurité des enfants) n’est pas mort et enterré pour autant.

Au cabinet du ministre de la Famille Mathieu Lacombe, on dit avoir interpellé le Bureau de l’Assemblée nationale à ce sujet avant les Fêtes et on compte poursuivre les discussions dans les prochaines semaines. « La conciliation travail-famille-études pour l’ensemble des familles et travailleurs du Québec est une priorité pour le ministre », dit son attaché de presse. On précise toutefois que la décision relève ultimement du Bureau de l’Assemblée nationale, selon les besoins des élus.

Il y a deux mois, l’Assemblée nationale a reçu une nouvelle demande afin d’analyser la possibilité d’offrir un service de garde à horaires flexibles, souligne la porte-parole Julie Champagne. « Lors d’une rencontre le 28 février dernier, les membres du Bureau de l’Assemblée nationale ont convenu de procéder à une consultation auprès des députés et du personnel politique et administratif de l’Assemblée afin de mieux identifier les besoins en matière de conciliation travail-famille (service de garde ou autres). »

Pour Chantal Soucy, vice-présidente de l’Assemblée nationale et présidente du Cercle des femmes parlementaires, une halte-garderie contribuerait non seulement à faciliter la vie de jeunes parents, mais à envoyer un message aux jeunes femmes qui pourraient être tentées par l’expérience politique mais sont rebutées par la dure conciliation travail-famille.

Lorsqu’elle rencontre des étudiantes à l’université dans l’espoir de les intéresser à la politique, Chantal Soucy remarque que cet enjeu les préoccupe beaucoup. « C’est toujours un sujet très sensible. » Et pour cause. Même si les pères de 2019 sont beaucoup plus présents dans la vie de leurs enfants qu’à une autre époque, c’est encore sur les épaules des mères que repose le plus souvent le fardeau de la conciliation famille-travail.

« Avec le nombre grandissant de femmes à l’Assemblée nationale, les choses changent. Et j’ai bon espoir que l’idée de halte-garderie fasse son bout de chemin. »

J’ai bon espoir, moi aussi. Ce serait un peu nono de s’en passer.