Triste époque que celle où des pharmaciens recommandent du sucre à 37,99 $ pour combattre la grippe, où Santé Canada permet aux fabricants de produits homéopathiques d'afficher leurs prétentions non scientifiques sur leurs emballages et où de fausses croyances largement partagées prennent le pas sur des faits rigoureusement compilés.

Ce que révèle l'enquête de mon collègue Philippe Mercure sur les produits homéopathiques en pharmacie a quelque chose de troublant. En février, en pleine saison de la grippe, Philippe s'est présenté incognito au comptoir de vingt pharmacies montréalaises, en racontant toujours la même histoire : il a une amie clouée au lit depuis deux jours. Elle souffre de fièvre et de douleurs musculaires. Peut-être une grippe ? Ils ont entendu parler de l'Oscillococcinum, ce produit homéopathique censé « soulager les états grippaux ». Ça fonctionne ?

Sur vingt pharmacies, six ont recommandé à Philippe d'acheter ce produit, même s'il n'existe aucune preuve de son efficacité. Six lui ont envoyé des messages ambigus. Et dans un cas, au comptoir des ordonnances, on a adressé mon collègue à une naturopathe en pharmacie qui, pour confondre les sceptiques, lui a dit ces mots surréalistes : « On entre dans une ère où on va se rendre compte que ça fonctionne. On quitte le terre à terre. »

On quitte le terre à terre... Je ne saurais mieux dire. C'est justement ce qui est le plus inquiétant dans cette affaire symptomatique de l'ère post-factuelle dans laquelle nous sommes. Une ère consternante, foisonnante pour le charlatanisme et la fumisterie, où chacun peut se construire sa propre vérité pseudoscientifique avec, dans certains cas, la complicité de professionnels qui sont pourtant censés donner des conseils s'appuyant sur des données scientifiques.

Avec la complicité aussi de Santé Canada, qui permet que l'on promette à peu près n'importe quel miracle sur des produits dits d'« autosoins » comme les produits homéopathiques. Voilà qui est tout aussi absurde qu'inacceptable.

Dans le cadre de l'exercice mené par Philippe Mercure, dans sept cas sur vingt, des pharmaciens l'ont mis en garde contre l'Oscillococcinum et lui ont clairement recommandé de ne pas l'acheter. Bref, ils ont fait leur travail. On les félicite. Mais compte tenu du fait que toutes les connaissances scientifiques indiquent que, hormis l'effet placebo, il n'y a aucune chance que ces capsules aient le moindre effet sur la grippe, sept avis éclairés sur vingt, c'est peu. N'aurait-il pas fallu que ce soit vingt sur vingt ?

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« Honnêtement, de l'homéopathie, on en a parce qu'il y a des gens qui en veulent. Mais non, en tant que scientifique, je ne vous dirai jamais de prendre ça. Il faut croire à la mémoire de l'eau, il faut croire à la dilution. C'est complètement farfelu », a dit un pharmacien à mon collègue.

Ces gens qui en veulent et en redemandent malgré tout se sont évidemment manifestés hier après la publication du dossier de Philippe Mercure, l'accusant tour à tour de faire de la désinformation, d'être à la solde des pharmaceutiques, d'être malhonnête, alouette... Leurs réactions n'avaient pas la virulence de l'abjecte campagne de harcèlement menée récemment contre l'excellent Pharmachien, Olivier Bernard, par des gens qui soutiennent le recours à la vitamine C injectable contre le cancer. Mais elles témoignent du même phénomène inquiétant. 

Grâce aux réseaux sociaux, tous ceux qui n'apprécient pas que des faits scientifiques, des doutes ou des nuances soient placés sur le chemin de leurs fausses croyances ont désormais un pouvoir démesuré. 

Le pouvoir d'attaquer et de faire taire un honnête pharmacien qui cherche à injecter des faits et de la science dans un débat qui en manque. Le pouvoir de lancer une meute d'ignorants aux trousses de journalistes sérieux qui s'en remettent aux faits. Le pouvoir de manipuler l'opinion publique en l'alimentant de fausses nouvelles et de théories du complot, reprises en boucle dans des chambres d'écho.

Tout ça est très dangereux et va bien au-delà du droit de tout citoyen de croire les sornettes qu'il veut bien croire. Que l'on pense par exemple à la menace terrible que des mouvements antivaccin font peser sur la santé publique, en abreuvant des parents d'informations trompeuses. Si bien que l'Organisation mondiale de la santé a récemment classé l'hésitation à se faire vacciner parmi les principales menaces à la santé mondiale en 2019.

Mardi, l'Agence de la santé publique du Canada sonnait à son tour l'alarme quant aux conséquences de la désinformation en matière de vaccination. L'administratrice en chef Theresa Tam s'est dite « très inquiète de la réapparition au Canada et ailleurs dans le monde de certaines maladies évitables par la vaccination, en particulier de maladies aussi graves et contagieuses que la rougeole. À mon sens, le décès d'un enfant dû à la rougeole, ne serait-ce que d'un seul, est quelque chose d'inacceptable ».

Qu'une maladie grave comme la rougeole, éradiquée grâce à la vaccination il y a plus de vingt ans, réapparaisse aujourd'hui à cause du virus de l'ignorance est proprement stupéfiant.

Que retenir de tout ça ? De grâce, informez-vous auprès de sources crédibles. C'est le seul vaccin contre l'ignorance.