« Une pétasse de merde, retourne dans ton pays te faire tuer salope. »

« Pute voilée. »

« Truie islamique. »

« Putain de vache qui nous veut tous morts. »

« Semence de cochon. »

« Tu ne subis aucun racisme espèce de charogne. »

Voilà un échantillon d'insultes contenues dans un fichier appelé « Sympathiques messages » appartenant à Dalila Awada. Des messages si violents qu'ils font passer mon propre courrier haineux pour un courrier du coeur inoffensif.

Aussi violentes soient-elles, ces insultes sont malheureusement trop souvent banalisées. « C'est anecdotique ». « Tu n'as qu'à les bloquer ». « Ne les lis pas ! » « Bof ! Tout le monde en reçoit ! » « Cesse de jouer à la victime ! » « Vaut mieux en rire ! »

Loin d'être anecdotiques, ces messages montrent que le prix à payer pour prendre la parole publiquement lorsqu'on est femme et qu'on affiche une opinion impopulaire est souvent très important. Et pour une femme musulmane qui porte le voile, c'est encore pire. « J'ai failli y laisser ma peau », me dit Dalila Awada, qui prendra la parole aujourd'hui à l'UQAM dans le cadre du premier Forum sur les cyberviolences contre les femmes organisé par le Réseau québécois en études féministes.

Cofondatrice de l'organisme féministe Parole de femmes, Dalila Awada a été propulsée dans l'arène publique en 2013, durant le débat sur la charte, alors qu'elle militait pour une laïcité ouverte. Sa défense du voile lui a valu une multitude de messages haineux et une campagne de diffamation. En juillet dernier, un blogueur, qui a mis en ligne des informations et des vidéos l'associant à une mouvance islamiste chiite, a été condamné pour diffamation.

Ce n'est que lorsqu'elle a émergé de cette période post-charte très éprouvante que Dalila Awada en a pleinement mesuré les séquelles. « Je me sentais vraiment fragilisée psychologiquement sans être capable de mettre des mots là-dessus. Car comment expliquer ça ? Comment dire : oui, j'ai vécu une période sombre ou une dépression à cause de toute cette violence - même s'il y avait d'autres facteurs aussi, notamment le harcèlement et la diffamation que j'ai vécus ? Toute cette haine projetée à mon égard a eu un effet de fragilisation. »

Pour éviter d'y laisser sa peau, l'étudiante en sociologie à l'Université de Montréal a développé des mécanismes de défense. Elle sait qu'elle peut compter sur un réseau de soutien. Elle tente désormais de mettre à distance les commentaires haineux dont elle est la cible en en faisant un objet de recherche sociologique. Son mémoire de maîtrise portera sur les insultes animalisantes envers les musulmans. Truie, vache, cochon... Cafards, coquerelles, rats... Un sujet sur lequel elle a décidé de se pencher tant elle a été frappée par les messages inquiétants qu'elle a reçus utilisant cette vieille rhétorique raciste.

« Dans mes lectures, j'ai vu à quel point le fait de réduire quelqu'un à l'état animal permettait de justifier par la suite les pires actions à l'égard d'un groupe. C'est ce qu'on a fait avec les personnes noires. C'est ce qu'on a fait avec les juifs. Il y a ce même procédé qui se répète à l'égard des musulmans. »

- Dalila Awada

Pour se protéger de la cyberviolence, Dalila Awada est aussi beaucoup moins présente dans les réseaux sociaux qu'elle ne l'était auparavant. « Je le dis en ayant conscience que ce n'est pas la solution. Parce que c'est exactement ce que ces gens veulent. C'est nous réduire au silence et nous marginaliser davantage. On finit par céder pour se protéger même si ces espaces numériques nous appartiennent aussi. »

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La réalisatrice Léa Clermont-Dion, organisatrice du forum d'aujourd'hui, prépare une thèse de doctorat sur les discours antiféministes sur le web au Québec. Elle observe que, pour les femmes qui, comme Dalila Awada, subissent des tirs croisés sexistes et racistes, l'effet dévastateur est particulièrement lourd. « Elles sont tellement stigmatisées. Dans leur cas, la violence est double. »

Au-delà de leur effet dévastateur sur le plan personnel, les cyberviolences, qui poussent des femmes à se censurer ou à quitter les réseaux sociaux par peur de représailles en ligne, entraînent un déficit démocratique, souligne-t-elle. L'an dernier, Amnistie internationale a publié un rapport disant que les cyberviolences, en réduisant les femmes au silence, sont une menace à la liberté d'expression.

Le Forum sur les cyberviolences contre les femmes est né d'une volonté de résister à la banalisation de ces enjeux et d'en faire un objet de discussion grand public. On y présentera notamment les résultats préliminaires d'une étude de Sarah Thibault et d'Esther Paquette, cochercheuses du Réseau québécois en études féministes, sur la manière dont les féministes qui prennent la parole dans l'espace public sont visées par un ressac antiféministe en ligne. « On peut remarquer que l'antiféminisme en ligne et les attaques antiféministes se renouvellent grâce aux capacités techniques que permettent les nouvelles technologies : l'accès très facile aux personnes, à leurs adresses personnelles et professionnelles », souligne Sarah Thibault.

Si les moyens sont nouveaux, les messages font appel à tous les bons vieux clichés sur les féministes. 

« Ce sont, par exemple, des insultes sur l'apparence physique et une objectification à la fois sexuelle et non sexuelle. Une association entre le féminisme et la frustration, qu'elle soit sexuelle ou non sexuelle. » - Sarah Thibault

Dans certains cas, il s'agit clairement de menaces. Et dans tous les cas, le but recherché semble le même : chercher à faire taire les femmes et à contrôler le message qui circule.

Fait intéressant, en mars dernier, une condamnation à six mois de prison dans une cause de harcèlement criminel - où un homme a envoyé des messages menaçants avec des photos de Marc Lépine à des chercheuses féministes - a créé un important précédent. La chercheuse Sandrine Ricci, à l'origine de la plainte à la police qui a permis de l'incriminer, sera d'ailleurs présente au forum pour en parler.

Malheureusement, de façon générale, une certaine impunité sur le web permet aux cyberviolences de se perpétuer, effaçant au passage des voix que l'on aimerait entendre. D'où la pertinence de ce premier forum courageux sur le sujet.

> Consultez la page Facebook du Forum sur les cyberviolences contre les femmes

Photo Hugo-Sébastien Aubert, Archives La Presse

La réalisatrice Léa Clermont-Dion, organisatrice du Forum sur les cyberviolences contre les femmes, prépare une thèse de doctorat sur les discours antiféministes sur le web au Québec.