Accepterait-on de confier sa voiture à un garagiste qui n'a pas la formation nécessaire pour en prendre soin? C'est pourtant ce que l'on fait avec nombre d'enfants confiés à des services de garde que l'on dit «éducatifs»...

«De mon point de vue, c'est inacceptable. Mais cela ne semble choquer personne», me dit Marianne Schneider, éducatrice au CPE Les enfants de l'avenir, à Pointe-Saint-Charles.

Marianne m'a invitée à passer une journée avec elle au CPE dans l'espoir de démystifier deux ou trois choses à propos de son métier qu'elle adore. Un travail aussi formidable que méconnu que l'on confond à tort avec celui de gardienne.

Voilà 20 ans que le programme universel des services de garde a été mis sur pied au Québec. Et voilà 20 ans aussi que Marianne se bat pour que tout le personnel éducateur ait la formation requise pour veiller au développement des enfants.

On aimerait croire que le Québec est aussi fou de ses enfants que l'est Marianne avec ses sept petits qu'elle a emmenés à la bibliothèque jeudi. 

On aimerait croire que la qualité des services éducatifs est une priorité pour notre société. Mais si c'est le cas, comment se fait-il que l'on tolère que seulement deux membres du personnel sur trois dans les CPE et les garderies aient un DEC en techniques d'éducation à l'enfance ou une équivalence reconnue? Comment se fait-il que l'on se contente d'exiger 66,6% au lieu de 100%?

«Je n'amènerais pas ma voiture chez un garagiste pas formé. Pourquoi on accepte ça pour les enfants?», demande Marianne.

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Au CPE où travaille Marianne, on ne l'accepte pas. On a fait de la formation du personnel et de la qualité des services offerts une priorité. Mais selon le type de services de garde au Québec, on note des écarts importants. Alors que 82% du personnel éducateur en CPE est qualifié, la proportion tombe à 44% en garderie privée non subventionnée*. Et si les études montrent que les CPE offrent en général des services éducatifs de meilleure qualité que les garderies à but lucratif, il reste que la majorité des enfants fréquentent malheureusement des services de garde de qualité passable.

Pourquoi ne pas uniformiser et rehausser les exigences pour toutes les éducatrices? Il s'agit là d'une recommandation de la Commission sur l'éducation à la petite enfance lancée l'an dernier par l'Association québécoise des CPE et chapeautée par l'Institut du Nouveau Monde. Dans un rapport déposé en mai 2017, la Commission recommande d'exiger un DEC en techniques d'éducation à l'enfance comme formation initiale de base pour tout le personnel. On propose aussi que la formation continue, basée sur les meilleures pratiques, soit obligatoire.

Pourquoi est-ce important? Parce que la science nous dit que les premières années sont fondamentales pour le développement des enfants. 

Plus on intervient tôt, meilleures seront les chances de prévenir des problèmes de développement et de favoriser l'épanouissement de l'enfant. Mais pour y arriver, cela prend plus que du gardiennage. Cela prend des services éducatifs de grande qualité. Cela prend des professionnels comme Marianne et ses collègues, capables de stimuler le développement global de l'enfant, de faire du dépistage précoce et de favoriser l'égalité des chances. Dans un milieu multiethnique et défavorisé comme Pointe-Saint-Charles, cela peut faire toute la différence dans la vie d'un enfant.

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D'origine française, Marianne est arrivée au Québec il y a plus de 20 ans avec un diplôme en sciences de l'éducation et un autre en musique. Son diplôme en musique a été reconnu. Mais pas celui en éducation. Pour pouvoir travailler auprès des enfants comme elle le souhaitait, elle a obtenu ici un certificat en petite enfance. Dans un monde idéal, elle souhaiterait que toutes les éducatrices aient une formation universitaire comme c'est le cas en Suède, par exemple.

Les enfants de 3 ans dont elle a la responsabilité ont la chance de pouvoir compter sur une éducatrice passionnée qui les initie à la musique classique, leur parle de La flûte enchantée... Mais l'essentiel de sa mission est ailleurs. Il ne s'agit pas de faire la petite école aux enfants ou de les surstimuler, mais de suivre un programme axé sur les cinq sphères de développement des tout-petits (affectif, social et moral, cognitif, langagier, physique et moteur). «Notre rôle, c'est de veiller à ce qu'ils se développent de la façon la plus équilibrée possible et en sécurité. Ce n'est pas quelque chose qui paraît comme du découpage ou du dessin...» 

«L'essentiel, c'est surtout ce qui ne paraît pas. Comme le fait de développer la confiance en soi, par exemple.»

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Le ministre Sébastien Proulx dit vouloir faire de la «qualité» des services éducatifs à l'enfance une priorité. Fort bien. Dans le cadre de sa Politique de la réussite éducative, il dit spécifiquement vouloir «renforcer la formation initiale et continue du personnel scolaire et du personnel des services de garde éducatifs à l'enfance». Fort bien aussi. Mais curieusement, il n'y a pas un mot à ce sujet dans le projet de loi 143 sur la qualité éducative des services de garde dont on discutera en commission parlementaire dans deux semaines.

Si la qualité éducative pour les tout-petits n'est pas qu'un voeu pieux, pourquoi ne pas s'assurer que 100% du personnel soit adéquatement formé? N'est-ce pas le strict minimum?

* Source : Données de 2013 citées dans le mémoire du Directeur régional de santé publique de Montréal déposé à la Commission sur l'éducation à la petite enfance.