L'actualité paraît toujours plus déprimante quand on en prend congé pour quelque temps. C'est le luxe que je me suis offert cet été. Une saison loin de l'actualité, où j'ai limité autant que possible ma fréquentation des nouvelles et des réseaux sociaux.

J'ai bien sûr triché parfois, comme les ex-fumeurs qui fument en cachette. À moins de vivre dans une grotte, difficile de se mettre à l'abri de la fureur du monde. La bêtise prend rarement congé, malheureusement.

Le retour fut tout de même brutal en cette saison des ouragans. Et je ne parle pas que des rafales d'Irma. Je parle des vents d'extrême droite et des vents anti-immigration. Je parle aussi des vents trumpistes et populistes qui ne semblent pas s'essouffler. Des vents qui charrient le mythe selon lequel les droits octroyés aux uns enlèvent quelque chose aux autres.

Mardi, ces vents ont emporté sur leur passage le rêve des « dreamers », ces 800 000 jeunes Américains, fils et filles de migrants, arrivés au pays alors qu'ils étaient enfants.

Ce n'était pas une surprise. La tempête était annoncée par Trump lors de sa campagne électorale. Mais le choc n'en est pas moins violent.

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Peu de gens chez nous avaient entendu parler des « dreamers » avant que leur rêve soit mis à mal. L'expression tire son origine du DREAM Act, projet de loi bipartisan qui avait été proposé au Congrès en 2010, rappelle Andréanne Bissonnette, chercheuse en résidence à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l'Université du Québec à Montréal. « La première version du DREAM Act a été proposée en 2001 et par la suite, il y a eu d'autres tentatives de faire adopter le texte, toutes s'étant soldées par un échec. »

« Le DREAM Act visait à offrir une voie vers la légalité pour les jeunes qui avaient été amenés par leurs parents souvent non documentés aux États-Unis alors qu'ils avaient moins de 16 ans. »

Le projet de loi n'a jamais été adopté, polarisation politique oblige. Mais le nom de « dreamers » est resté pour désigner ces fils et filles de migrants. Le programme DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) finalement instauré par Obama en 2012 venait en réponse au fait que le DREAM Act était bloqué au Congrès. Il s'agissait de donner à ces enfants, dont l'âge moyen d'arrivée au pays est de 6 ans, la possibilité de se réaliser, comme n'importe quel autre enfant, sans être pénalisés à cause du statut de leurs parents ni craindre l'expulsion.

« Ces gens, très souvent, n'ont pas connu leur pays d'origine, rappelle Andréanne Bissonnette. Ils ont toujours été aux États-Unis, y ont grandi, y ont étudié, mais ne peuvent pas atteindre les mêmes idéaux et les mêmes niveaux de vie que quelqu'un qui aurait un statut légal. »

Quel sera l'impact de la décision de l'administration Trump ? Il faut se garder d'adopter une position trop alarmiste, croit Andréanne Bissonnette. Les « dreamers » n'en sont pas encore à abandonner leur rêve américain. Rien n'indique non plus qu'ils déménageront demain matin leur rêve de ce côté-ci de la frontière.

On parle de gens qui ont des racines profondes aux États-Unis. Ils sont plus instruits que la moyenne des migrants non documentés et bien intégrés à la société américaine. Ils sont propriétaires, ils vont à l'école, ils ont des entreprises. Parmi eux, on compte des détenteurs de maîtrise et de doctorat et des professeurs d'université. Ils ont l'appui de chefs d'entreprise comme Apple, Microsoft et Google, qui n'entendent pas les laisser partir. Les trois quarts d'entre eux vivent en Californie. Ce n'est donc pas demain la veille qu'ils vendront tout pour s'établir au Québec.

Rien n'est joué pour le moment. « On est dans la situation où on ne sait pas si le Congrès va agir sur la question. DACA était soutenu par la majorité de la population américaine. Il y a également un soutien bipartisan. Il y a des représentants et des sénateurs républicains qui appuient l'idée derrière DACA. On a six mois où c'est possible qu'un programme soit adopté. »

Pour l'heure, la fin annoncée du programme DACA, tout en renforçant le stéréotype du migrant illégal voleur de job, a le mérite d'attiser les vents contraires et de fouetter les supporteurs des « dreamers », majoritaires aux États-Unis.

« Le discours de Jeff Sessions mardi a repris plusieurs éléments des discours de Donald Trump qui vont satisfaire sa base électorale et les électeurs qui sont profondément anti-immigration aux États-Unis, observe Andréanne Bissonnette. Par contre, globalement, la question de l'immigration polarise beaucoup aux États-Unis. Comme DACA vise vraiment des enfants arrivés alors qu'ils étaient mineurs et qu'ils n'avaient pas conscience de l'illégalité du geste qui était commis, c'est un groupe qui a plus de sympathies dans l'électorat américain et la population américaine de façon générale. »

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En lisant sur le sort de ces « rêveurs » que Trump prétend aimer, j'ai repensé à cette anecdote racontée peu après l'époque de la ségrégation aux États-Unis*. L'histoire d'un chauffeur d'autobus américain qui persiste à placer les passagers selon leur couleur. Les Blancs devant. Les Noirs derrière. Un jour, son patron l'avertit que ça suffit. Il doit changer sa façon de faire. Les temps ont changé... Comme le chauffeur semble avoir du mal à comprendre, le patron se dit que rien ne vaut une image. « Tu dois oublier qu'il y a des Noirs et des Blancs. Tu dois faire comme si nous étions tous bleus. »

Le chauffeur acquiesce. Lorsqu'il remonte à bord de l'autobus, il dit à ses passagers : « Il n'y a plus de Noirs ni de Blancs, nous sommes tous bleus... Alors, les bleus clairs, vous vous mettez à l'avant, et les bleus foncés, à l'arrière. »

De même, à l'heure de l'ouragan Trump, il semble y avoir deux catégories d'enfants rêveurs. Les rêveurs légaux à l'avant. Les rêveurs illégaux à l'arrière.

* Anecdote tirée du site d'Amin Maalouf