« Jeudi, j'avais ma chimio... »

Il m'a dit ça comme si de rien n'était, au détour d'une phrase, sans roulement de tambour.

Il s'appelle Joshua Rothman. Il a 10 ans, bientôt 11. Un petit sourire malicieux. Le regard lumineux et profond d'un vieux sage. L'éloquence d'un jeune poète. Et un stoïcisme hors du commun.

Joshua est mon voisin. Il est né dans une maison pleine d'amour et de musique - ses deux parents sont musiciens. Il fait partie de la même chorale que mes garçons. Je ne le connaissais pas vraiment avant de faire du covoiturage avec ses parents pour nous rendre aux répétitions. J'ai découvert un enfant inspirant et attachant ayant ce don tout particulier d'ensoleiller le quotidien de ceux qui l'entourent.

Tous les vendredis, j'ai la chance de discuter avec lui de choses et d'autres. De l'opéra auquel il participera bientôt avec sa chorale à la Maison symphonique. De son double héritage - juif et anglophone par son père, catholique et francophone par sa mère. De l'avantage d'avoir plus d'un repère religieux. « Je fête deux Pâques ! » De l'hébreu qu'il apprend pour l'« expérience mystique ». De ce qu'on peut manger ou pas lors de la Pessah, qui commémore l'exode des Hébreux - des gaufres, non, parce que ça contient de la levure, mais des crêpes, oui, si elles sont « matzah ».

On a parlé récemment aussi de sa première compétition d'escrime aux Jeux de Montréal qu'il a tant aimée. Un sport qu'il avait envie de pratiquer depuis qu'il avait vu une vidéo d'une compétition olympique. Depuis l'automne, il manie le sabre avec beaucoup de fierté au club d'escrime les Spartiates du quartier Rosemont. Avec son équipement, il se sent invincible, prêt à apprendre de nouvelles stratégies pour se dépasser et tenter de déjouer son adversaire.

Au détour de nos conversations, j'ai compris que si Joshua ne pratique l'escrime que depuis l'automne, il y a longtemps que la vie l'a obligé à revêtir un masque de Spartiate.

Il avait 10 mois quand le diagnostic est tombé. Ses parents avaient remarqué quelque chose d'étrange dans son regard. Un mouvement anormal de sa pupille. Ils ont consulté. Une batterie de tests plus tard, on a découvert une masse derrière l'oeil. On a craint le pire. Il s'agissait d'une tumeur cérébrale bénigne qui croît lentement et qui a lui fait perdre l'usage d'un oeil.

« Si la tumeur avait été située ailleurs, on l'aurait enlevée et cela aurait été fini. Mais l'endroit où elle est située la rend maligne parce qu'on ne peut pas l'enlever au complet », m'explique Stéphanie Bozzini, la mère de Joshua.

Depuis le jour où le diagnostic est tombé, Stéphanie et son amoureux Reuven ont dû se transformer en Spartiates, eux aussi. « Vous embarquez dans un long voyage », leur a-t-on dit.

Joshua a commencé des traitements de chimiothérapie. Tout petit, il parlait du « bobo » qu'il avait dans la tête. À l'âge de 5 ans, il a subi une chirurgie qui a permis d'enlever 60 % de la tumeur. D'autres traitements de chimio ont suivi. Il faut toujours surveiller la tumeur, s'assurer qu'elle ne grossit pas.

La semaine dernière, les nouvelles étaient bonnes. Le scanneur montrait que la tumeur avait rétréci. Joshua et ses parents étaient soulagés.

Ils s'accrochent à chaque petite victoire, remettent leur masque et continuent de marcher, comme si de rien n'était, aux côtés de tout un réseau de proches qui les soutiennent.

« La vie est belle sous n'importe quelle forme, qu'on soit malade ou pas. La faux est là pour tout le monde », me dit Stéphanie.

Même si les traitements sont difficiles, Joshua, toujours stoïque et lumineux, ne se plaint jamais. « Ça me donne mal au coeur. Mais ce sont des effets secondaires mineurs », me dit-il, sans en faire tout un plat.

À l'hôpital, on l'appelle le « futur premier ministre ». Verbomoteur, il discute de tout avec aisance, dans les moindres détails, tant en français qu'en anglais. Quand on cherche un porte-parole pour une cause, on pense spontanément à lui. L'an dernier, il a épaté tout le monde en prenant le micro lors d'un évènement-bénéfice de la fondation Jovia pour parler de sa complicité avec les clowns thérapeutiques qu'il croise à l'hôpital. Même s'il se sentait un peu nerveux, il ne s'est pas accroché dans son texte une seule fois.

Feras-tu de la politique un jour, Joshua ? Dans une entrevue exclusive accordée autour d'un chocolat chaud, il n'a pas nié ce que mes sources bien informées laissaient entendre. « C'est un de mes projets quand je serai grand. J'aime beaucoup la démocratie. J'écoute souvent les nouvelles... »

À 10 ans, son sens critique est déjà bien aiguisé. Il y a quelque temps, en discutant après la chorale, il a lancé, d'une voix énigmatique : « Philippe Couillard a fait beaucoup de choses pour mon école. »

Je pensais qu'il faisait peut-être référence à des subventions accordées à l'école publique qu'il fréquente. « Ah bon ?

- Il a fait des coupures... », a-t-il poursuivi, pince-sans-rire.

S'il se lance en politique, Joshua fonderait son propre parti. Mais ce n'est qu'un projet parmi d'autres, précise-t-il. Il aimerait peut-être aussi être policier comme dans les films. Et jouer de la guitare électrique dans un band, qui sait...

Où trouve-t-il l'énergie pour accomplir tout ce qu'il accomplit, entre l'école, les traitements hebdomadaires, l'escrime, la chorale, les cours de musique, les cours d'hébreu et les multiples fêtes ? « Ça prend juste de la motivation », m'a-t-il dit, sur le ton de l'évidence.

Il était 17 h. C'était l'heure de rentrer se préparer pour son cours d'escrime. Il a avalé une dernière gorgée de chocolat chaud et est reparti, souriant, d'un pas confiant, sous un ciel clair qui annonce le printemps.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

Joshua avait 10 mois quand les médecins ont découvert qu'il avait une tumeur cérébrale derrière l'oeil. L'endroit où elle est située fait en sorte qu'elle ne peut pas être retirée.