Cela fera bientôt trois ans que le fils de Linda De Luca est mort. Et cela fera bientôt trois ans qu'elle se bat à sa mémoire. Le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale a beau lui avoir dit être sensible à sa cause, elle attend encore que cette «sensibilité» se traduise par un geste concret.

«Martin ne voudrait pas que je lâche», me dit la mère, qui se présentera aujourd'hui devant le Tribunal administratif du Québec pour demander justice pour les personnes handicapées et leurs proches.

Martin, c'est le fils unique et adoré de Linda De Luca, dont j'ai déjà raconté l'histoire. Il souffrait de trisomie 21, de cardiopathie et d'insuffisance pulmonaire. Il est mort le 6 mai 2014, à l'âge de 39 ans, emporté par une pneumonie. Linda l'a aimé comme seule une mère peut aimer. Elle l'aime encore. Il ne se passe pas une seule journée sans qu'elle ne pense à lui et à tous les moments heureux qu'ils ont passés ensemble.

Toute sa vie, Linda De Luca s'est battue pour le bien-être de son fils. Toute sa vie, elle a refusé de le confier à l'État, même si c'est ce qu'on lui avait conseillé de faire dès sa naissance. Toute sa vie, elle l'a gardé à ses côtés, même si ce n'était pas facile. Mais lorsqu'à sa mort, elle a eu besoin de l'aide de l'État, on lui a dit non. Elle n'arrivait pas à y croire. «Il faut toujours qu'on se batte. C'est ça qui est frustrant. Le gouvernement manque de compassion.»

Après la mort de Martin, Linda De Luca pensait pouvoir compter sur la prestation pour frais funéraires de 2500 $ accordée par le ministère de l'Emploi et de la Solidarité sociale (MESS) lorsque les ressources financières de la personne décédée sont insuffisantes. C'était bel et bien le cas de son fils, qui était prestataire de l'aide sociale en raison de son handicap. Après les funérailles, la mère avait une facture de 2000 $ à payer pour le cimetière, les fleurs, la messe, le graveur... Mais à sa grande surprise, elle s'est vu refuser tout remboursement du MESS.

Comme elle avait fait des arrangements funéraires préalables, elle n'avait pas le droit à un sou. Pour y avoir droit, il lui aurait fallu être plus négligente...

Mère de famille monoparentale, Linda De Luca voulait s'assurer que son fils ait une sépulture digne de ce nom si jamais elle devait mourir avant lui. Elle a donc agi comme agissent la plupart des parents dans sa situation, me dit Geneviève Labrecque, directrice générale au Regroupement pour la trisomie 21. La vie les oblige à être prévoyants. N'est-il pas injuste de les pénaliser pour l'avoir été?

Il y a deux ans, à l'invitation du député péquiste Harold LeBel, qui était alors porte-parole de l'opposition en matière de lutte contre la pauvreté et de solidarité, Linda De Luca et Geneviève Labrecque se sont rendues à l'Assemblée nationale dans l'espoir de convaincre le ministre de changer cette loi injuste. Elles y étaient accompagnées de Suzanne Gagné, une avocate au grand coeur qui, touchée par l'histoire de cette mère forcée de se battre pour son fils même après sa mort, a proposé de l'aider bénévolement à défendre ses droits. «J'admire beaucoup la mère qu'elle est. Comment elle croit en la justice.» Pour elle, Linda De Luca ne demande rien. Mais pour son fils, elle est toujours prête à foncer.

Linda De Luca était sortie de sa visite au parlement le coeur empli d'espoir. Elle avait eu le sentiment d'avoir été écoutée et que le cabinet du ministre de l'époque, Sam Hamad, était de tout coeur avec elle. Mais les choses ont traîné. Neuf mois plus tard, lorsqu'il y a eu un remaniement ministériel, rien n'était encore réglé. Le dossier a été renvoyé sur le bureau de François Blais, qui était en poste quand la demande de prestation a été refusée en 2014. Il y a eu de vagues promesses de se pencher sur la question. Mais Linda De Luca a eu l'impression que plus personne ne prenait la chose vraiment à coeur.

Au cabinet du ministre Blais, on me dit qu'on ne peut commenter le dossier de Linda De Luca puisque sa cause a été portée devant le Tribunal administratif du Québec. Le fait est que Mme De Luca aurait volontiers renoncé à tout recours devant les tribunaux si le Ministère lui avait offert une meilleure solution. Car en vérité, l'enjeu qu'elle soulève est beaucoup plus politique que juridique. 

C'est une question de dignité, d'équité et de justice pour toutes les familles dans sa situation.

Ça coûterait quoi de modifier la loi rapidement pour corriger cette iniquité? Comment se fait-il que près de trois ans après la mort du fils de Linda De Luca, malgré les promesses d'agir, rien n'a bougé? «On s'est déjà engagé à faire des assouplissements par modification réglementaire», me dit Simon Laboissonière, attaché de presse du ministre François Blais. Ce sera fait «au cours des prochains mois», promet-il.

Comment expliquer de tels délais? «La grève des juristes a retardé l'échéancier», explique-t-il.

Quand la grève des juristes a-t-elle eu lieu? Du 24 octobre 2016 au 28 février 2017.

Quand Linda De Luca a-t-elle dénoncé pour la première fois publiquement l'injustice que l'on fait subir aux parents dans sa situation? Le 28 août 2014. Plus de deux ans avant le déclenchement de la grève... Il me semble que la grève des juristes a le dos large.

«On est là-dessus présentement, mais c'est retardé, me répète l'attaché de presse.

«C'est dans nos cartons.»

Que penser d'un ministère qui dit depuis deux ans à une mère endeuillée que ce sera réglé dans quelques mois? Quelqu'un aurait-il égaré le carton de la compassion?

PHOTO FOURNIE PAR LINDA DE LUCA

Martin De Luca