Toute la semaine, j'ai cherché des mots qui apaisent. De tous les textes que j'ai lus au lendemain de l'attentat à la mosquée de Québec, c'est celui de Manal Drissi qui m'a fait le plus de bien.

Dans sa chronique touchante et percutante, publiée sur le site de Châtelaine, Manal parle de la colère qui ne la quitte plus depuis l'attentat du 29 janvier. Et de l'espoir qui l'habite malgré tout.

Elle conclut avec ces mots lumineux : « La solidarité qui nous rassemble depuis dimanche n'a pas le loisir de s'évanouir, elle a un Québec à garder uni. Et si les terroristes pensent pouvoir détruire le pont de la diversité avec des AK-47, c'est qu'ils ignorent à quel point on toughe ça longtemps, au Québec, un pont magané. »

Je me suis reconnue tant dans sa colère que dans son espoir. On s'est donné rendez-vous sur le pont magané de la diversité pour en discuter, dans un café du boulevard de l'Acadie tenu par sa mère Khadija - qui se fait appeler Katy, comme personne n'arrive à prononcer le « kh » guttural de son joli prénom.

Manal est une chroniqueuse de 27 ans qui manie les mots et l'ironie de façon brillante. Née à Rabat, au Maroc, elle a transplanté ses racines et son humour à Montréal il y a 20 ans. Après des études en communication interrompues par la naissance d'un enfant, elle s'est fait connaître comme blogueuse, avec des billets humoristiques sur les frustrations quotidiennes d'une jeune femme névrosée. Depuis près d'un an, on peut entendre ses « montées de lait » au micro de Marie-Louise Arsenault à Plus on est de fous, plus on lit !.

La colère qu'elle a traduite d'un seul jet dans sa chronique au lendemain de l'attentat de Québec est là depuis longtemps. Elle a monté d'un cran quand Manal a entendu tous ces gens se dire « surpris » par l'attentat islamophobe de dimanche. 

« Comment tu peux être surpris ? Dans quelle bulle tu vis pour être surpris, avec tout ce qui se passe et tout ce qu'on entend, que quelqu'un prenne une arme et tire sur des musulmans ? »

- Manal Drissi

Manal a été outrée par le « deux poids, deux mesures » dans le traitement médiatique de la tragédie. Elle n'a pas digéré l'expression « terrorisme inversé » utilisée par Pierre Bruneau (qui a présenté ses excuses par la suite). « Ça m'a tellement mise en colère ! Pierre Bruneau que je regarde depuis que je suis toute petite ! Ce qui me met en colère, c'est que ce ne sont pas juste des gens qui n'ont pas d'éducation ou qui n'ont jamais rencontré un Arabe de leur vie qui disent ça. Ce sont des gens que je respecte, des gens que je côtoie. Ça fait mal d'avoir confiance en un média ou en un professionnel et d'avoir à entendre qu'il a un biais négatif face à toi. »

Elle souligne avec ironie la « rigueur élastique » qui a permis aux médias de dévoiler très vite le nom d'un des « suspects » d'origine marocaine. « Trop excités d'avoir mis la patte sur un gars qui s'appelle Mohamed. »

Le lendemain, lorsque la SQ a annoncé que le Mohamed en question n'était finalement qu'un témoin, qui se portait au secours des blessés, on a rectifié les faits, mais il était déjà trop tard. Son nom avait fait le tour du monde. « Terroriste présumé ». Trump s'est même servi de cette fausse information pour justifier son décret anti-immigration.

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Lundi soir, Manal est allée à la veillée au flambeau à Montréal à la mémoire des victimes. Elle y est allée en colère. Elle est rentrée chez elle sereine, du moins pour un moment, émue par l'élan de solidarité dont elle avait été témoin. « Il était là, mon Québec. Les orteils gelés et les coudes serrés. » Un Québec qui croit à la diversité et au respect de l'Autre.

Cette solidarité s'était faite bien discrète, ces dernières années, alors que des gens avec qui elle a grandi tenaient des discours où elle sentait qu'elle faisait figure de « problème social ». Elle déteste qu'on lui dise : « Toi, Manal, c'est pas pareil. Tu ne portes pas de voile, tu es intégrée, tu as un accent québécois... »

« Ça m'énerve parce que mon père ressemble aux hommes qui ont été abattus dans cette mosquée. Moi, c'est pas pareil, ça veut dire quoi ? Que les personnes qui m'ont élevée, tu les méprises ? Comment tu peux ne pas me mépriser si tu méprises d'où je viens ? Ça n'a pas de sens. »

- Manal Drissi

Les commentaires haineux qui suivent des prises de parole courageuses, Manal connaît. Lorsqu'elle a dénoncé les propos islamophobes de la chanteuse Marie-Chantal Toupin, elle a reçu des commentaires du genre : « Étouffe-toi avec ton voile », « Retourne chez vous, tu ne seras jamais québécoise », « T'es une ordure », « T'es un déchet »...

Elle connaît assez bien le Québec pour savoir que ce mépris ne reflète en rien ses valeurs. Mais elle pose la question quand même : combien faudra-t-il d'Alexandre sur les réseaux sociaux pour que l'on croie ceux qui encaissent depuis des années les conséquences des discours populistes sur leur vie ?

« Tant qu'on les laissera, des chroniqueurs, des politiciens et des citoyens continueront d'alimenter le brasier de la haine et se dédouaneront au nom de la sacro-sainte liberté d'opinion, écrit-elle. C'est dans le silence de tous que le discours de quelques-uns fait écho. »

À méditer, en réparant tous nos ponts maganés.