Commettre un viol, bof !... S'il n'y a ni plainte ni poursuite, pourquoi pas ?

C'est ce que 30 % des participants à une étude aux résultats alarmants semblent s'être dit en répondant à une question très explicite sur le sujet. Un taux qui rappelle, pour qui en doute encore, l'urgence de s'attaquer véritablement à la culture du viol.

« On ne s'attendait absolument pas à ça ! Ce sont les mêmes chiffres que l'on retrouvait il y a 40 ans ! », me dit le chercheur postdoctoral Massil Benbouriche, qui vient de soutenir une thèse en cotutelle à l'École de criminologie de l'Université de Montréal et au Centre de recherche en psychologie, cognition et communication de l'Université de Rennes 2.

Les résultats, préoccupants, soulèvent des questions quant à l'efficacité des programmes mis en place jusqu'à présent dans le milieu de l'enseignement pour prévenir les violences sexuelles, estime le chercheur. « Et surtout, je pense que ça dit quelque chose sur cette culture du viol, ce mythe du viol. Sur le laxisme de la société en regard de ces enjeux de violence envers les femmes. »

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L'objectif de la thèse de Massil Benbouriche était d'abord et avant tout d'étudier les effets de l'alcool et de l'excitation sexuelle sur la perception du consentement.

Pour mener l'étude, on a recruté 150 participants. Des hommes de 20 à 39 ans, aussi bien universitaires qu'issus de la population générale, ont été invités à se rendre dans un laboratoire. Là, ils ont répondu à différents questionnaires, notamment sur leur adhésion au mythe du viol. Les adeptes de ce vieux mythe largement répandu croient que les femmes sont en mesure de résister à un viol si elles le veulent vraiment. Ils croient aussi que, dans certaines circonstances, les femmes « méritent » de se faire violer.

Dans le cadre de l'étude, des participants se sont vu offrir un mélange d'alcool et de tonic, d'autres, juste du tonic. Certains ont été exposés à un extrait de film porno, d'autres, à un extrait de documentaire du National Geographic sur les pyramides. Puis on leur a présenté des vidéos et des bandes audio sur lesquelles ils étaient questionnés. On leur a fait notamment écouter un échange entre un homme et une femme, Marie et Martin, qui arrivaient chez Marie après une soirée passée ensemble dans un bar. Et on a posé au passage cette question : « Si vous étiez absolument certain que Marie ne porte jamais plainte et que vous ne soyez jamais poursuivi, quelles seraient les chances d'avoir une relation sexuelle avec Marie alors qu'elle n'est pas d'accord ? »

Il s'agit là d'une question inspirée des premières études sur le sujet, dans les années 80. Une question abandonnée avec le temps par les chercheurs, car elle est trop explicite et laisse facilement deviner les objectifs des chercheurs. Qui serait assez franc pour répondre oui à une telle question ?

Malgré tout, Massil Benbouriche s'est dit qu'il ne perdait rien à inclure cette question, juste pour voir... 

Le résultat l'a stupéfait : près d'un répondant sur trois (30 %) a rapporté explicitement une intention de commettre un viol.

« Depuis 40 ans, on aurait pu croire qu'il y a une forme de sensibilisation du public et des programmes de prévention qui sont mis en place dans un certain nombre de milieux universitaires ou même secondaires. On aurait pu croire que d'une manière générale, on parle plus de ces sujets et qu'à défaut de limiter l'incidence et la prévalence, les gars sont un peu plus sensibilisés à ces questions et qu'ils seraient un peu plus subtils dans leur manière de répondre. Mais en fait, pas du tout ! On a des taux qui sont similaires 40 ans plus tard ! »

Les résultats, obtenus en laboratoire, doivent bien sûr être interprétés avec prudence. « On n'est pas en train de dire que 30 % des hommes commettraient une agression sexuelle, précise Massil Benbouriche. On est conscients qu'il y a un écart entre ce que vont dire les gens dans un laboratoire et ce qui va se passer dans la "vraie" vie. Il y a des individus qui ont dit "oui" et qui ne commettraient jamais une agression sexuelle. À l'inverse - et c'est peut-être encore plus vrai -, on peut imaginer qu'il y a un paquet de gars qui n'ont pas répondu alors que peut-être, en situation, ils seraient prêts à... »

Ce qu'on peut dire, toutefois, c'est que devant une question très explicite sur le viol, on observe « une forme de laxisme qui fait en sorte que pour 30 % des individus, il est normal de considérer qu'on puisse commettre un viol ».

L'étude révèle très clairement par ailleurs que, tant en matière de perception du consentement sexuel que de violences sexuelles à proprement parler, la consommation d'alcool ne peut plus être utilisée comme une excuse expliquant un certain nombre d'agressions. On y souligne que l'adhésion au mythe du viol et à une certaine culture du viol est un facteur de risque particulièrement important. L'alcool n'a un effet que chez ceux qui adhèrent plus fortement à ce mythe et qui ont des attitudes tolérantes à l'égard de la coercition sexuelle.

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Ce matin, le nouveau mouvement social Québec contre les violences sexuelles, dont on a entendu les deux courageuses porte-parole à Tout le monde en parle, dimanche, exigera de Québec des mesures musclées pour faire la guerre à la culture du viol. Alors que l'on constate que le problème est aussi alarmant aujourd'hui qu'il y a 40 ans, ne serait-il pas souhaitable d'adopter, comme en Ontario, une loi qui obligerait les établissements postsecondaires à mettre en place des mesures pour prévenir la violence sexuelle ?

Le chercheur Massil Benbouriche croit que cela serait une bonne idée, à condition d'y consacrer des moyens suffisants (incluant des ressources pour les victimes) et des programmes bien ciblés avec des objectifs précis.

Cela dit, pour s'attaquer à la racine du problème, un travail beaucoup plus profond encore s'impose. Il faut s'y atteler dès la petite enfance, en ramenant l'éducation sexuelle à l'école.

« Si on se dit qu'en tant que société, on veut prévenir les violences sexuelles contre les femmes, c'est avant l'université que cela doit commencer. » À défaut de quoi, dans 40 ans, il y aura encore trop de jeunes hommes pour se dire : « Un viol ? Bof !... »

Photo Jean-Marie Villeneuve, Le Soleil

Des manifestants se sont rassemblés mercredi à Québec pour dénoncer la vague d'agressions sexuelles à l'Université Laval.