Elizabeth Hinton rentre de trois mois en bateau en Méditerranée, au large de la Sicile. Mais ce n'était pas exactement des vacances. C'était un voyage au pays du courage.

Infirmière à Pointe-Saint-Charles, cette Montréalaise de 38 ans était à bord du bateau Dignity I de Médecins sans frontières (MSF). Pendant trois mois, l'équipe dont elle faisait partie a sauvé la vie de plus de 5000 désespérés qui tentaient de faire la traversée jusqu'en Europe dans des embarcations de fortune.

En l'absence de voies d'accès alternatives sûres pour les migrants fuyant des guerres et des crises, ils sont encore des milliers à déposer tous leurs espoirs et leurs économies dans les mains de passeurs sans scrupules. Ils empruntent les eaux tumultueuses qui séparent la Libye et l'Italie. Un voyage hautement périlleux devenu une des seules façons de rejoindre l'Europe.

« Les passeurs leur font croire que cela ne prendra que six heures et que ça va être VIP », raconte Elizabeth. En réalité, ils ont droit à l'horreur VIP dans des bateaux de fortune qui les vouent à une mort certaine. Dans de bonnes conditions, à bord d'un navire comme le Dignity I qui peut accueillir 400 personnes, rejoindre la côte sicilienne depuis la Libye prend deux jours. Mais dans un canot pneumatique, sans carburant en quantité suffisante, sans eau ni nourriture, ils seront nombreux à ne jamais voir la côte promise. En 2015, près de 3000 hommes, femmes et enfants ont péri en tentant la traversée. Depuis janvier 2016, au moins 3100 autres ont subi le même sort. Hier, les gardes-côtes italiens ont rapporté que cinq corps de migrants avaient été récupérés.

« Nous réitérons notre refus d'être de simples spectateurs depuis la côte. » C'est ce qu'a dit la Dre Joanne Liu, présidente de MSF, au moment de relancer les opérations de sauvetage en Méditerranée en avril dernier. Une Méditerranée tristement baptisée « le cimetière des migrants », alors que la crise des réfugiés continue à faire des victimes chaque jour.

Elizabeth, animée de ce même refus de regarder les gens mourir depuis la côte, n'a pas hésité à se joindre à l'opération de sauvetage en Méditerranée de MSF à la mi-avril. Elle rapporte de ce voyage des histoires qui glacent le sang. Des femmes violées par plusieurs hommes. Des enfants séparés de leurs parents. Des survivants portant des marques de torture. Des jeunes traumatisés qui ont vu leurs compagnons mourir en route. « J'ai entendu tant d'histoires d'horreur », souffle-t-elle.

La plupart des migrants recueillis par le Dignity I durant sa mission étaient originaires de l'Afrique subsaharienne - Érythrée, Mali, Soudan, Somalie...

Les opérations de secours se déroulaient à l'aube. Dès que des migrants en détresse, qui avaient quitté la côte libyenne pendant la nuit, étaient repérés, un signal d'alarme retentissait sur le bateau. Elizabeth et ses collègues montaient en vitesse voir le capitaine. L'équipe de sauvetage se mettait à l'oeuvre.

Elizabeth était responsable de l'accueil des femmes et des enfants que l'on ramenait à bord. 

« Ils arrivent le plus souvent avec rien. Pas de cellulaire. Tout ce qu'ils avaient a été volé en route. Ils n'ont que leurs vêtements mouillés sur le dos. Certains ont peur. On leur explique qu'on n'est pas des passeurs, mais des professionnels de la santé. »

Ceux dont l'état de santé est le plus précaire et qui nécessitent des soins urgents sont envoyés dans le petit hôpital aménagé sur le bateau. Ils arrivent traumatisés, déshydratés, épuisés, affamés, fiévreux, en état d'hypothermie ou la peau ravagée par la gale. Certains ont des marques de fouet sur le corps et des os cassés. En Libye, beaucoup ont été réduits à une vie d'esclave et ont subi des traitements inhumains.

Certains poussent des cris de joie en voyant arriver les secours de MSF. D'autres se mettent à pleurer. Tous sont reconnaissants. Les enfants, d'une incroyable résilience, donnent du courage aux grands. Les gens s'entraident d'une manière qui force l'admiration.

Ils reviennent de loin. Avant de prendre le bateau en Libye, ils ont traversé le Sahara avec trois fois rien et une petite bouteille d'eau. Ils ont été obligés de boire leur urine. Ils sont en mode survie, dans le dénuement le plus complet. Certains ont inscrit un numéro de téléphone sur leurs vêtements. D'autres ont leur nom tatoué sur le bras.

Parmi eux, beaucoup de familles. Des enseignants, des ingénieurs, des architectes, des étudiants qui fuient la guerre ou la misère. 

« Ils sont souvent très instruits et sont en quête de stabilité. Ils veulent juste avoir un endroit pour se poser en sécurité, participer à la société, élever leurs enfants. »

On leur donne une trousse de survie avec de l'eau et un biscuit énergétique. Ils passent deux nuits sur le bateau, à l'air libre, un tapis de yoga en guise de lit. Le Dignity I les dépose ensuite dans un port de Sicile. Là, ils seront envoyés dans des « hotspots » - ces centres d'enregistrement créés en 2015 par l'Union européenne pour faire face à la crise des migrants. On y effectue un tri entre les migrants économiques et ceux qui se qualifient comme réfugiés en vertu de la Convention de Genève.

Que retient Elizabeth de ce voyage ? « Il ne faut pas avoir peur des migrants. Il faut les accueillir. Il faut leur faire une place. Ils ont un rôle important à jouer dans notre société. Ce sont des gens hyper courageux. Je n'ai jamais rencontré des gens aussi courageux. »