Il me semble qu'hier encore, il était à la maternelle. Je nous revois marchant vers l'école du quartier. Je me rappelle cette petite main qui serrait la mienne quand, pour la première fois, on a croisé des grands de sixième dans la cour. Il venait de comprendre que ceux qu'on appelait à la garderie « les grands » étaient désormais les petits.

Le voilà plus grand que moi. C'était sa rentrée au secondaire, hier. Le voilà qui redevient un petit dans la cour des grands. Une rentrée qui ne marque pas juste la fin de l'été, mais aussi la fin de l'enfance.

Le fond de l'air un peu plus frisquet. Le temps qui s'accélère. Le coeur qui bat plus vite. L'agenda qui déborde. La liste des conseils aux mères parfaites qui s'allonge. Et tous ces souvenirs de premières fois qui remontent à la surface et nous chavirent un peu. Premier jour à la garderie. Premier jour d'école primaire. Premier jour d'école secondaire...

Il n'a plus besoin que je le tienne par la main. C'est lui désormais qui me prend parfois par l'épaule, comme pour me rassurer. « Ça va aller, maman... »

On a démêlé les secrets du réveille-matin et de la roulette du cadenas. On a déchiffré les Planibus à la recherche du trajet le plus court qui nous semblait quand même long.

Pour le matin de la rentrée, j'ai proposé de l'accompagner à mi-chemin. Il m'a encore dit : « Ça va aller, maman... » Devrait-on marcher une quinzaine de minutes jusqu'à l'arrêt de bus ou s'y rendre en auto ? J'ai hésité. Même si on était bien en avance, on craignait d'être en retard. Comme le trajet le plus court ne me semblait pas particulièrement bucolique, avec ses trottoirs condamnés, ses cônes orange et ses intersections casse-gueule pour les piétons, j'ai choisi la voiture.

Le soleil du matin était aveuglant. Nous sommes arrivés les premiers à l'arrêt de bus. Nous ont suivi peu après un père et son fils. Un grand blond du même âge que mon garçon. On les connaît, non ? C'était son meilleur ami de maternelle, tout droit sorti de cette première rentrée à laquelle j'étais justement en train de penser. La dernière fois que je l'avais vu, c'était un enfant. Devant moi, un grand ado en uniforme prêt pour le secondaire. De mes pensées nostalgiques jusqu'à l'arrêt de bus, c'était comme si un film en accéléré défilait sous mes yeux.

Nos deux ados sont restés silencieux jusqu'à ce que les portes de l'autobus s'ouvrent devant nous. J'ai regardé fiston monter avec son grand sac à dos. Il m'a laissée seule avec ses souvenirs d'enfance sur le trottoir. Un nouveau départ. Une nouvelle étape.

L'autobus a démarré. J'ai regagné ma voiture en pensant au temps qui passe et aux souvenirs qui restent, aux petits qui deviennent grands et aux grands qui deviennent petits. J'ai pensé à ma mère qui, comme moi, a toujours adoré les rentrées, elle qui a enseigné pendant 30 ans. J'ai pensé aux parents-poules que nous sommes devenus avec le temps. Dès la maternelle, je marchais seule vers l'école avec mon frère de deux ans mon aîné. Mes parents ne nous accompagnaient pas à la rentrée scolaire. Le monde est-il vraiment devenu plus anxiogène ou est-ce nous qui sommes devenus paranos ?

J'ai fait demi-tour pour rentrer à la maison à temps pour assister à la rentrée scolaire de mon plus jeune fils, qui avait lieu 30 minutes plus tard. J'étais perdue dans mes pensées quand j'ai vu des gyrophares dans mon rétroviseur. Que s'était-il passé ? Y avait-il eu un problème au terminus ?

J'ai regardé autour de moi pour voir qui pouvait bien être le malfaiteur ainsi pourchassé... J'ai finalement réalisé que le malfaiteur était dans ma propre voiture. C'était moi.

Un inspecteur bourru de la STM, que j'avais d'abord pris pour un policier, est sorti de la voiture. « Madame, vous avez circulé dans une voie réservée... »

Je me suis confondue en excuses. Je lui ai expliqué que c'était la rentrée de mon plus vieux, que je n'avais pas l'habitude de circuler là en voiture, que j'avais voulu faire un demi-tour en bonne et due forme plutôt qu'un « U-turn » bancal qui me semblait plus périlleux pour l'automobiliste derrière moi et les piétons aux abords du terminus...

L'inspecteur semblait fort peu ému par mon récit. Il est reparti avec mon permis de conduire et s'est assis au volant de son véhicule, les gyrophares toujours en marche. Il semblait très concentré sur son calepin. Il est revenu me voir 10 minutes plus tard avec un constat d'infraction. Une amende de 221 $ pour avoir circulé « dans une aire de manoeuvre réservée exclusivement au matériel roulant autorisé ».

Je ne suis pas du « matériel roulant autorisé ». Je suis juste une mère roulante stressée, le coeur encore en été, la tête dans ses pensées.