Le mouvement #AgressionNonDénoncée, né dans la foulée du scandale Ghomeshi, a eu le mérite de rendre visibles des enjeux trop souvent invisibles. Mais au-delà des beaux discours, les changements réels se font encore attendre.

On peut avoir l'impression que rien n'a bougé. Que la loi du silence règne encore. Que des victimes, dépitées par le jugement Ghomeshi, n'ont pas particulièrement envie de porter plainte. Que les institutions, plus soucieuses de protéger leur réputation que de protéger les victimes, tendent à s'en laver les mains, pourvu que les médias les laissent tranquilles.

Malgré tout, je me réjouis d'une chose : au moins, on en parle.

La semaine dernière, la lettre d'une députée conservatrice dénonçant le sexisme à Ottawa a suscité un vif débat. Au même moment, une campagne utilisant le mot-clic #WhenIWas a été lancée sur Twitter dans le cadre du projet Everyday Sexism, qui tente de documenter le sexisme ordinaire. Un peu à la manière du mouvement #AgressionNonDénoncée, la nouvelle campagne rappelle que trop de filles font face à du harcèlement sexuel dès leur plus jeune âge.

Les mots-clics ne changent pas le monde. Mais je me dis qu'au moins, on en parle. C'est un premier pas. Car une chose est sûre : une injustice qui n'est jamais nommée ne sera jamais enrayée.

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Au moins, on en parle. C'est ce que je me suis dit encore mercredi dernier, en écoutant les conférenciers invités à une table ronde au collège de Rosemont portant sur les dossiers à caractère sexuel dans le milieu de l'enseignement. Dans le tumulte de l'affaire Ghomeshi et des dénonciations anonymes à l'UQAM, le sujet a donné lieu à des discussions dans le milieu universitaire. Mais le milieu collégial tarde à faire le même débat. D'où l'idée de ce panel, qui en appelait autant à la réflexion qu'à l'action.

Alors que la prestigieuse Université Harvard a adopté un règlement interdisant les relations sexuelles et amoureuses entre professeurs et étudiants du premier cycle, aucun code d'éthique semblable n'existe au Québec. Les notions de relations intimes, sexuelles ou amoureuses ne sont pas incluses dans les politiques en vigueur au collégial. Ce qui ne veut pas dire que tout est permis. « On va voir un abus de pouvoir potentiel lorsque le professeur va utiliser son pouvoir comme une arme de séduction et qu'il va exploiter le sentiment d'admiration que va pouvoir lui accorder sa notoriété pour séduire un étudiant et ensuite avoir des relations intimes et sexuelles avec lui », a expliqué Valérie Biron, avocate à la Fédération des cégeps.

Le problème n'est pas nouveau, comme l'a souligné Hélène Lee-Gosselin, professeure à la Chaire Claire-Bonenfant - Femmes, savoirs et sociétés de l'Université Laval. « Je suis entrée à l'université comme étudiante en 1972. Dans l'établissement où j'étudiais, il y avait des gens pour qui à l'époque il y avait des rumeurs. Il fallait se méfier de monsieur X ou de monsieur Y. Il fallait s'assurer quand on était invitées à son bureau de garder la porte ouverte et d'y aller avec des complices. » Des décennies plus tard, les mêmes rumeurs circulent.

Le problème principal auquel il faut s'attaquer est celui de la sous-déclaration, croit Hélène Lee-Gosselin. Les victimes ne portent pas plainte. Le sujet reste un tabou et est bien mal compris.

« On connaît des crises périodiquement. Mais on ne semble pas apprendre de ces crises et réaliser qu'il y a là un enjeu qu'il faut traiter. »

- Hélène Lee-Gosselin, professeure à l'Université Laval

La Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec n'a pas encore pris position. Mais à la demande de ses membres, elle vient d'entamer une réflexion sur le sujet. Pour sa présidente, Caroline Senneville, le noeud du problème, c'est la question du libre consentement. « Aussi dramatique que puissent être les cas de harcèlement et d'agressions, et même s'il faut reconnaître que c'est sous-dénoncé, qu'est-ce qui arrive quand tout le monde est content et consentant ? »

S'il est vrai que de telles relations existent, c'est plutôt l'exception, a précisé Me Valérie Biron. « Les cas où tout le monde est heureux et ça finit par un mariage et deux enfants, c'est plutôt l'exception. »

Le cas type est plutôt celui d'une étudiante qui croyait consentir et qui déchante quand elle réalise qu'elle a été victime d'un abus de pouvoir d'un professeur qui voit sa classe comme un bassin de jeunes proies. Au début de la relation, elle se sent privilégiée. Elle se dit : « J'ai été choisie. C'est moi l'élue. » Quand le professeur passe à l'autre saveur du mois, son monde s'écroule et elle sombre dans la dépression.

Pour Michel Seymour, professeur de philosophie à l'Université de Montréal, un des principaux problèmes, c'est l'omerta. Les cas litigieux sont étouffés ou réglés en catimini. « Ça n'entre pas sous le radar de la prise de conscience sociale. »

Michel Seymour est cosignataire d'une lettre réclamant que les professeurs se dotent d'un code d'éthique semblable à celui qu'ont les médecins ou les psychologues pour protéger le lien de confiance avec leurs patients et éviter les abus de pouvoir. « C'est dans leur propre intérêt que d'affirmer ouvertement ce principe. Ça risque de leur épargner des situations fâcheuses. »

Selon lui, les professeurs devraient eux-mêmes s'imposer ces règles, car ils sont en meilleure posture que les syndicats ou les administrations pour le faire. « La responsabilité première du syndicat, c'est de se porter à la défense de ses professeurs. Il y a des limites à ne pas franchir. Il ne faut pas demander au syndicat d'être à l'avant-garde de la dénonciation. L'administration veut bien paraître. Elle ne le sera pas non plus. C'est pourquoi je dis qu'il faut que ça vienne des professeurs eux-mêmes. Si ça n'arrive pas des professeurs eux-mêmes, ça n'arrivera pas du tout. »