Peu importe l'issue du procès Ghomeshi, sa surmédiatisation doit être l'occasion de reprendre là où on l'avait laissé le débat public sur les agressions sexuelles.

Où l'a-t-on laissé, d'ailleurs, ce débat lancé avec le mouvement #AgressionNonDénoncée ? Quand on voit à quel point les stéréotypes sur les agressions sexuelles sont tenaces, quand on voit le peu d'intérêt politique que suscitent ces enjeux, on a parfois l'impression que le débat n'a finalement eu lieu qu'en surface.

Et pourtant, on aurait tort de ne voir dans le mouvement #AgressionNonDénoncée qu'une saute d'humeur, un accès de colère ou un appel à la délation. J'y vois plutôt une lame de fond. Une prise de parole salutaire qui a donné lieu à un nécessaire éveil collectif pour qui croit en l'égalité hommes-femmes.

Rappelez-vous quand le scandale autour de Jian Ghomeshi a éclaté à l'automne 2014. Lorsque l'ancien animateur-vedette de la CBC a été remercié à la suite de ce qui était à l'époque des allégations d'agressions sexuelles, la nouvelle a été accueillie avec scepticisme. On a tout de suite mis en doute la crédibilité des plaignantes. Aux yeux de bien des gens, leur long silence les rendait encore plus suspectes que l'animateur-vedette. Si c'était si grave, si c'était vrai, elles auraient dénoncé avant, non ? demandaient-ils.

Ces réactions ont mis en colère la journaliste montréalaise Sue Montgomery. Sue savait trop bien les raisons pour lesquelles la majorité des victimes ne dénoncent pas leur agresseur. Car ce silence était aussi le sien. Elle en a discuté avec sa consoeur torontoise Antonia Zerbisias. Elles ont réalisé qu'elles partageaient le même secret. Elles avaient été victimes de viol. Elles n'avaient jamais porté plainte. Ensemble, elles ont lancé le mot-clic #BeenRapedNeverReported. Sitôt envoyés dans la twittosphère, leurs témoignages ont entraîné un torrent. C'est comme si une digue avait cédé. Des millions de femmes d'ici et d'ailleurs ont témoigné des agressions qu'elles avaient gardées secrètes.

Après des réactions plutôt timides du côté francophone - qui s'expliquent peut-être par le fait que Jian Ghomeshi n'était pas très connu au Québec -, un pendant francophone de #BeenRapedNeverReported a été créé. La Fédération des femmes du Québec, en collaboration avec Je suis indestructible, a lancé la campagne #AgressionNonDénoncée. Loin d'être un feu de paille, le mouvement a eu des retombées bien concrètes. Les CALACS (Centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel) ont vu un accroissement des demandes d'aide. Et, fait inusité, les agressions sexuelles sont devenues un réel objet de débat public.

Le mouvement #AgressionNonDénoncée fait écho à une prise de conscience globale et incontournable. Que ce soit dans l'armée ou à l'université, dans un poste de police ou dans un cégep, dans une société d'État ou au Comité olympique canadien, les gestionnaires ont dû prendre des notes et rendre des comptes. Ils ont dû réaliser que se fermer les yeux sur un problème ne le règle pas.

C'est bien beau de demander aux victimes de prendre leur courage à deux mains pour dénoncer une agression. Mais s'il n'y a personne pour les entendre et pour les prendre au sérieux, à quoi bon ?

En matière d'agressions sexuelles, je suis toujours sidérée de voir que des idées de l'ère préhistorique ont encore la cote en 2016. Des idées reçues selon lesquelles la plupart des plaintes sont en fait de fausses plaintes de femmes frustrées qui veulent se venger. Ou que la victime l'a forcément cherché.

La prise de conscience suscitée par l'affaire Ghomeshi nous a rappelé que tant que la question des agressions sexuelles restera taboue, tant qu'elle ne sera pas traitée comme un enjeu prioritaire, tant qu'on blâmera les victimes, tant que l'on ne remettra pas en cause la culture misogyne qui sous-tend ces comportements, le problème restera entier.

Il faut maintenant espérer que le procès qui s'est ouvert hier ne soit pas traité comme un spectacle permettant à tout un chacun de faire le procès des plaignantes mais l'occasion de pousser la réflexion encore plus loin. Pour mettre fin à l'impunité. Parce que nous sommes en 2016.