Elle l'a cherché. Elle aurait dû faire attention. Elle aurait dû résister. Elle aurait dû dire non.

C'est ce que trop de victimes d'agressions sexuelles se font dire. C'est ce que plusieurs lecteurs m'ont dit aussi à la suite de ma chronique sur ce professeur congédié par le Collège de Maisonneuve à la suite d'une plainte pour agression sexuelle d'une ancienne élève.

J'ai eu envie de hurler en lisant ces commentaires. Ils me rappellent à quel point les mythes sur les agressions sexuelles sont tenaces. À quel point la culture du viol est bien ancrée dans notre société. Un an après l'électrochoc produit par le mouvement #AgressionNonDénoncée, sommes-nous vraiment plus avancés?

Certains trouvent exagéré de parler de «culture du viol». Ils ne réalisent pas qu'ils ont les deux pieds dedans. C'est exactement ça, la culture du viol. C'est banaliser la réalité des agressions sexuelles. C'est blâmer les victimes plutôt que les agresseurs. C'est les accuser d'avoir couru après.

Pourquoi parler d'agression sexuelle dans un cas où la victime, qui subit la relation sexuelle, n'a pas résisté à son agresseur? me demandent plusieurs lecteurs. Parce que c'est une agression sexuelle. Une agression sexuelle est un geste à caractère sexuel posé sans le consentement de la victime.

Certains croient à tort que l'on doit réserver les mots «agression sexuelle» ou «viol» aux cas où une femme serait attaquée par un dangereux prédateur dans une ruelle obscure. Le fait est que dans la majorité des cas, ça ne se passe pas comme ça. Le plus souvent, l'agresseur n'a pas un visage de monstre. C'est quelqu'un de bien connu de la victime. Un proche, un professeur, un entraîneur, un conjoint...

Oui, mais si la victime ne dit pas «non», n'est-elle pas consentante? me demande-t-on encore.

C'est un autre mythe bien ancré. En matière sexuelle, le proverbe «qui ne dit mot consent» ne tient pas. Le silence n'équivaut pas à un consentement. L'absence de «non» ne signifie pas «oui». Le fait de ne pas résister physiquement ou de demeurer immobile, non plus. Céder n'est pas consentir.

Comment savoir alors si une femme est consentante? Le consentement sexuel doit être donné de façon volontaire. Il faut que ce soit un choix libre et éclairé. Si c'est fait dans un contexte d'abus de confiance ou de pouvoir, le consentement ne tient pas. C'est écrit noir sur blanc dans le Code criminel (article 273).

Est-ce à dire qu'il n'y a pas de consentement libre et éclairé possible pour un prof qui profiterait de sa situation d'autorité en classe pour multiplier les jeunes conquêtes? Exactement. Vous avez tout compris.

Que doit faire alors l'enseignant Don Juan devant toutes ces jolies jeunes femmes qui le soumettent à la tentation? Il peut se donner une règle très simple: faire son travail de prof. Ce travail ne lui donne pas le droit de saouler ses élèves pour mieux les séduire. Il ne lui donne pas le droit de coucher avec des élèves qui ont la moitié de son âge. Sa classe n'est pas exactement un buffet à volonté pour assouvir ses pulsions sexuelles. C'est un lieu où on lui a confié l'une des responsabilités les plus importantes dans une société: enseigner.

Ne faut-il pas apprendre à nos filles à être vigilantes? me demandent des mères. À mon sens, il faut renverser la question. En premier lieu, dans un tel cas, ce n'est pas aux filles qu'il faut s'adresser, mais bien aux enseignants. C'est d'ailleurs ce que s'est empressé de faire le syndicat des professeurs du Collège de Maisonneuve. Une mise en garde a été envoyée aux délégués syndicaux pour rappeler ce qui devrait relever de l'évidence: quand on est prof, certains comportements sont inappropriés et il y a des limites à ne pas franchir. Dans les fêtes avec les élèves, il faut se comporter en adulte. Il faut éviter les abus d'alcool. Éviter aussi les ambiguïtés...

Et les jeux de séduction, alors? Et l'amour? Disons-le clairement: quand un prof manipule des élèves à répétition pour satisfaire son appétit sexuel, ce n'est pas de l'amour. C'est de l'abus de pouvoir.

Quand des collègues, inquiets pour toutes ces filles hameçonnées par ce prof, portent plainte à la direction, ce n'est pas cette chose abjecte nommée «délation». C'est de l'aide à des personnes en danger.

Quand la direction d'un cégep choisit de fermer les yeux sur cet abus de pouvoir pendant presque 10 ans jusqu'à ce que la tragédie annoncée ait un visage, comme ce fut le cas au Collège de Maisonneuve, c'est de la négligence.

Quand un système permet que tout ça soit confidentiel - s'il n'y a pas d'accusations criminelles, l'information selon laquelle le prof a été congédié à la suite d'une plainte pour agression sexuelle n'apparaît nulle part, à moins qu'il consente lui-même à ce qu'elle soit divulguée -, c'est une forme d'impunité.

«Si on n'a pas de femmes en position de pouvoir, ça ne va jamais changer. Il n'y a pas de volonté politique pour ça», me disait hier la journaliste Sue Montgomery, qui a mis en place il y a un an jour pour jour le mouvement #BeenRapedNeverReported. Elle se désolait de voir qu'en dépit de l'effet de détonateur qu'a eu ce mouvement, la question des agressions sexuelles n'a même pas été un enjeu électoral. On constate même un certain ressac comme on le voit en ce moment avec les allégations d'agressions sexuelles contre des femmes autochtones. On continue de blâmer les victimes. Elles l'ont cherché...

Un an plus tard, je remercie Sue d'avoir su éveiller des consciences et défier la culture du silence. Mais comme elle, je constate avec un certain découragement qu'il nous reste bien du chemin à faire.