Y a-t-il des enjeux qui vous ont interpellés durant cette campagne électorale ?

Un long silence a suivi ma question. J'ai cru entendre une mouche voler. Peut-être même deux. J'ai même craint pendant un instant que la soixantaine d'élèves du collège Vanier muets devant moi ne s'assoupissent en entendant les mots « campagne électorale ». Et j'ai pensé à toute l'admiration que j'ai pour les professeurs qui réussissent à capter l'attention d'une génération dopée à la stimulation éternelle du téléphone intelligent.

« C'est comme un prolongement de leur main. Ils se sentent nus sans leur téléphone », me disait leur professeure, qui doit fréquemment exclure du cours des élèves incapables de s'en passer.

Comment les amener à se concentrer sur une seule chose ? Comment les tenir éveillés devant des sujets qui les endorment ? Comment surtout les tenir éveillés ?

Ils ont l'âge du premier vote pour la plupart. Mais la majorité d'entre eux n'iront pas voter. Pourquoi donc ? Parce qu'ils ne se sentent pas assez bien informés pour le faire. Parce qu'ils ne se sentent pas assez interpellés. Parce qu'ils ne sont pas convaincus que ça ferait une différence. Parce qu'ils ont l'impression que c'est blanc bonnet et bonnet blanc. Parce qu'ils ne font pas confiance aux politiciens...

Ils sont à l'image des jeunes de leur âge. Peu enclins à aller voter. Pour la majorité d'entre eux, ce ne sera pas l'âge du premier vote, mais bien l'âge de la première abstention.

Il fut un temps où la majorité des jeunes ayant le droit de vote se prévalaient de ce droit. Ce n'est plus le cas. Aux dernières élections fédérales, le taux de participation des 18-24 ans était de moins de 40 %, alors qu'il était de 61 % dans la population en général.

Cette tendance n'est pas propre au Canada. Aux États-Unis, au Royaume-Uni et même en Finlande, où l'éducation citoyenne est pourtant plus valorisée, on remarque aussi une diminution du taux de participation des jeunes.

Le long silence de ces élèves et les quelques réponses désillusionnées qui ont suivi illustrent une certaine forme de décrochage civique. Et pourtant, ce serait cliché que d'en déduire que « les » jeunes ne s'intéressent à rien hormis l'écran de leur téléphone. Ils sont un peu plus instruits que la moyenne. Un peu moins croyants. Un peu moins riches aussi. Ils n'ont pas encore les préoccupations des familles tant courtisées par les politiques. Ce qui ne veut pas dire pour autant qu'ils sont dépolitisés. Pensez au printemps étudiant de 2012. « Je ne crois pas qu'il y aurait eu ce genre de mouvement social en Finlande », me disait leur professeure de français Katri Suhonen, elle-même d'origine finlandaise.

Le taux de participation électorale des jeunes Finlandais, même s'il a diminué, demeure beaucoup plus élevé que celui des jeunes Québécois (plus de 60 %). 

Les jeunes de Finlande considèrent peut-être davantage le vote comme un devoir social. En revanche, on n'y sent pas la même volonté de changer les choses.

Dépolitisés, les jeunes ? Si on ne se fie qu'au taux de participation électorale pour répondre à cette question, oui, sans doute. Mais il y a d'autres moyens de s'intéresser à la politique. Ma question somnifère sur les enjeux électoraux a été suivie d'une discussion très animée sur les inégalités hommes-femmes qui persistent à ce jour. Dans le cadre d'un cours de français langue seconde intitulé « Repenser le féminin et le masculin », les élèves ont été invités à réfléchir sur les notions de féminité et de masculinité. Au-delà du simple cours de grammaire, le but est de former des citoyens qui sont capables de comprendre les enjeux du monde dans lequel ils vivent. De saisir les règles de la grammaire du monde et d'y jeter un regard critique et informé.

En quoi, encore aujourd'hui, le sexe biologique conditionne-t-il le parcours des jeunes adultes ? Pourquoi, encore aujourd'hui, à travail égal, les femmes sont-elles moins payées que les hommes ? Comment se fait-il que près d'un siècle après l'obtention du droit de vote, les femmes demeurent largement sous-représentées à la Chambre des communes ?

« C'est leur choix », a avancé un jeune homme. Si elles sont payées moins, c'est que cela ne les dérange pas. Si elles sont absentes des cercles du pouvoir, c'est que le pouvoir ne les intéresse pas, a renchéri un autre. « Les femmes n'aiment pas être en position de domination. Elles préfèrent avoir un mari qui a un bon salaire et rester à la maison. »

Ah bon ? La déclaration a fait bondir plusieurs consoeurs, qui ont reproché à leur camarade de verser dans les stéréotypes et de faire fi de la culture sexiste qui sous-tend ce « choix ». Non, il n'y a aucune bonne raison pour qu'une éducatrice en garderie soit payée moins qu'un plombier, rappelait une jeune femme en se basant sur les textes sur l'équité salariale que leur professeure leur avait fait lire.

« Ce n'est pas parce que c'est la réalité qu'il ne faut pas les changer », a rappelé une autre. « L'esclavage aussi était une réalité ! »

À la fin de la discussion, celui qui avait essuyé de vives critiques après avoir dit que les femmes aimaient être dominées a dû se rendre à l'évidence. Non, elles n'aiment peut-être pas ça... « Vous avez raison », a-t-il dit, en souriant. Dans la vie comme sur papier, le masculin l'emporte sur le féminin. Mais il peut en être autrement. Il venait de saisir une règle élémentaire de la grammaire du monde.