La direction de l'Université du Québec à Montréal prend-elle assez au sérieux la question du harcèlement sexuel?

Je posais la question la semaine dernière à la suite de l'histoire troublante d'une ancienne étudiante de l'UQAM qui, dans la foulée du mouvement #AgressionNonDénoncée, a déposé une plainte en harcèlement sexuel contre un professeur. Je dis «troublante» car, même si l'enquête a pu démontrer clairement qu'il y a bel et bien eu harcèlement, l'université a dit à la plaignante qu'il n'y aurait aucune sanction pour le professeur fautif. Principale raison invoquée? Le comportement reproché a eu lieu à l'extérieur du campus, dans un cadre non universitaire.

Désolé pour votre agression, mais on n'y peut pas grand-chose... C'est le message qui fut envoyé à cette étudiante. Un message qui fait douter du sérieux de la démarche de l'université dans cette affaire.

«Nous prenons très au sérieux les résultats des enquêtes, quels qu'ils soient», a répliqué le vice-recteur Marc Turgeon, qui a réagi à ma chronique dans le bulletin de l'université.

Le vice-recteur a tenu à préciser que les politiques de l'UQAM «ne s'appliquent pas à des lieux, mais à des personnes» et que si l'université pense qu'un membre de la communauté universitaire a eu une conduite inacceptable, elle va intervenir.

Il existe toutefois des «zones grises», a précisé M. Turgeon. «Les lois et les politiques en matière de harcèlement sont liées étroitement à des gestes et à des comportements qui se produisent sur les lieux de travail. Dans un contexte où la vie privée et les responsabilités professionnelles s'entrecroisent, aucun employeur ne peut agir sans prendre en considération l'environnement juridique complexe dans lequel nous évoluons.»

Comment une université qui choisit de ne pas sanctionner un cas avéré de harcèlement sexuel peut-elle dire qu'elle prend la chose très au sérieux? Comment peut-on dire du même souffle que les politiques ne s'appliquent pas à des lieux, mais que les lois ne couvrent que les comportements qui se produisent sur les lieux de travail? N'est-ce pas dire une chose et son contraire?

J'ai pu poser ces questions directement à M. Turgeon. Selon lui, il est faux de dire que l'université n'a rien fait dans le cas qui était présenté dans ma chronique. «On a reçu le rapport. On le lit attentivement. On prend ça très au sérieux. Et on va prendre des mesures.»

Quel genre de mesures? «Il y a un continuum de mesures, qui vont de la simple rencontre au congédiement. Dans ce cas, on va examiner le dossier et on va voir. On n'a pas encore statué.»

Si l'université n'a pas encore statué, comment se fait-il que le Bureau d'intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) de l'université ait dit à la plaignante, au moment de lui dévoiler les conclusions de l'enquête, qu'il n'y aurait pas de sanctions - une information qui m'a été confirmée par l'UQAM la semaine dernière?

C'est le rôle du vice-recteur, et non du BIPH, de déterminer les sanctions, explique M. Turgeon. Les plaignants ne sont pas informés des sanctions, car l'université considère que cette information doit demeurer confidentielle. Dans ce cas-ci, il y a peut-être eu confusion, dit-il.

Qui dit vrai? Mystère. Chose certaine, ce cafouillage n'a rien de rassurant pour les victimes à qui l'on demande de faire confiance aux «voies officielles».

Pour ce qui est la responsabilité de l'UQAM dans le cas où le comportement fautif a lieu à l'extérieur de l'université, le vice-recteur insiste sur le fait qu'il existe des situations de «zones grises». «La loi sur le harcèlement en milieu de travail ne couvre pas ces situations en dehors du milieu de travail», dit-il.

Ce n'est pas l'avis de l'expert que j'ai consulté à ce sujet. «Ce n'est pas vrai que si un geste dérogatoire est posé en dehors du lieu de travail, l'employé peut agir en toute impunité», dit sans détour Me Guy Tremblay, spécialisé en droit de l'emploi et des relations de travail.

Le geste ternit-il la réputation de l'employeur? Peut-il affecter l'aptitude de l'employé à bien faire son travail? Perturbe-t-il son milieu de travail? Si c'est le cas, l'employeur est en droit de sévir, explique-t-il. Dans le cas d'un professeur trouvé coupable de harcèlement vis-à-vis d'une étudiante, la réponse à ces questions est «oui».

La politique 16 contre le harcèlement sexuel à l'UQAM est muette quant au lieu où se produit l'inconduite. La politique revue et améliorée, qui devrait entrer en vigueur en 2016, est plus précise. On y indique noir sur blanc qu'elle s'applique à l'extérieur de l'université. Ce n'est pas tant le lieu que le statut et le rapport d'autorité qui comptent.

Cette politique jumelée à un nouveau code d'éthique régissant les rapports entre professeurs et étudiants fait présentement l'objet d'une consultation. Certains trouveront qu'elle va trop loin. D'autres, qu'elle ne va pas assez loin. Il sera sans doute difficile de faire l'unanimité sur un sujet aussi complexe que délicat. Mais l'exercice a le mérite de jeter les bases d'une politique essentielle pour mieux prévenir les agressions sexuelles et préserver un milieu d'études sain.

Loin d'être de simples énoncés de bonnes intentions, de telles politiques sont très utiles, souligne Me Guy Tremblay. «L'employé ne peut pas dire: Ah! Je ne savais pas... La règle est là. Personne ne peut plaider l'ignorance.»

Le vice-recteur Marc Turgeon, souhaite que cette nouvelle politique, qui précise ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas, «contribue à briser la culture du silence». Je le souhaite aussi. Cela dit, l'UQAM, comme toute autre université, aura beau avoir la meilleure politique du monde, tout est dans l'application. Il ne suffit pas d'avoir une politique qui donne bonne conscience. Il faut aussi veiller à ce qu'elle soit respectée.

Nombre de plaintes formelles en harcèlement sexuel déposées en 2014 à l'UQAM

3

Nombre de plaintes fondées. Des sanctions allant de la suspension au congédiement ont été appliquées.

Source: Bureau d'intervention et de prévention en matière de harcèlement, UQAM