«On se voit à Damas», disait l'invitation. «Non, pas la ville...»

Damas, PQ, le fameux restaurant syrien de l'avenue Van Horne.

Jeudi 3 septembre, à 20h. C'était noté dans mon agenda. La soirée, organisée par un groupe de Syro-Québécois qui a lancé un projet d'aide aux enfants syriens, était prévue depuis longtemps. Le hasard a voulu que ça tombe au moment où la publication de la photo du petit Aylan, mort sur une plage de Turquie, avait mis la tragédie syrienne à la une.

En marchant vers le restaurant, je pensais à l'infinie solitude du père d'Aylan. Je venais de lire le récit crève-coeur de son naufrage. Je l'imaginais nageant jusqu'à la côte, hurlant dans le noir le nom de sa femme et de ses deux enfants qui lui avaient glissé des mains. Des hurlements laissés sans réponse. Il ne reverra ses fils et sa femme qu'à la morgue. Aylan, 3 ans. Son frère Galip, 5 ans. Leur mère Rehan, 35 ans. Morts pour avoir tenté de survivre. Symboles tragiques de l'inaction de la communauté internationale.

Le restaurant était bondé. Personne n'avait vraiment le coeur à la fête. Dans les voix et les regards, un mélange de tristesse et d'indignation. Pourquoi fallait-il attendre la publication d'une photo d'un enfant mort sur une plage pour se sentir interpellés? demandait-on. Et tous les autres qui sont morts avant, ne comptaient-ils pas? Pourquoi ne fait-on pas pour le peuple syrien ce que l'on a déjà fait pour les boat people?

«Ça m'attriste beaucoup, tout ça...» me disait Marya Zarif, Montréalaise d'origine syrienne, cofondatrice du projet Je veux jouer, qui tente de sensibiliser le public québécois à la cause de l'enfance en Syrie, après quatre ans d'un conflit extrêmement meurtrier.

Dans son malheur, le petit Aylan aura eu la «décence» de mourir de manière photogénique. Il est devenu la goutte qui a fait déborder la mer, soulignait Marya. Couché sur le sable, c'est comme s'il disait au monde: «Pourquoi?» Pourquoi le monde a-t-il abandonné le peuple syrien?

Si sa mort peut servir à éveiller des consciences, ce sera au moins ça de pris. Embarrassé, le gouvernement Harper est pressé par l'opposition d'en faire davantage pour les réfugiés syriens. «Ça donne de l'espoir. Mais c'est un mince espoir. Le gouvernement dit une chose et il en fait une autre. J'espère qu'il va rendre le processus de demande d'asile plus facile», me confiait Hala Matouk, travailleuse humanitaire d'origine syrienne.

Le désespoir est généralisé, me disait Hala, le regard triste. Les Syriens qui risquent leur vie sur la Méditerranée proviennent de toutes les couches de la société. «J'ai des amis qui l'ont fait. Ils n'ont pas eu le choix. C'est la seule issue.»

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Après le souper, les fondateurs du projet Je veux jouer ont pris le micro pour parler du pari qu'ils ont fait de soutenir les enfants syriens et de leur permettre de garder espoir malgré tout.

«On soutient des initiatives qui essaient de ramener un peu de bonheur, des parcelles d'enfance là où il n'y en a plus. De ramener de l'enchantement dans un endroit où l'enchantement a disparu et où il ne reste que l'horreur», expliquait Marya. Des initiatives comme A Syrian Dream (Un rêve syrien), dans le sud de la Turquie, qui tente de donner à des enfants de la guerre un semblant de vie normale: l'école, le jeu, le rêve...

La priorité pour ces enfants et leur famille est bien sûr de survivre et de parer au plus urgent. Mais ils ont aussi besoin d'être juste des enfants. Cet été, dans le cadre d'un atelier d'arts plastiques, on a demandé aux petits réfugiés du projet Un rêve syrien de dessiner leur cadeau de rêve. Ils ont dessiné des trains, des maisons, des poupées, sans se douter de rien. Grâce aux dons recueillis au Québec par Marya et son équipe, une mission secrète a été menée: offrir aux familles de ces enfants une fête digne de ce nom à l'occasion de l'Eid - la fête soulignant la fin du ramadan.

À leur insu, on a trouvé les cadeaux dont ils rêvaient. Rarement des petits trains et des poupées ont été plus appréciés. On a aussi offert à chaque famille un kilo de viande et des pâtisseries traditionnelles afin qu'elle puisse faire un vrai repas de fête comme elle n'en avait pas eu depuis longtemps.

Devant l'ampleur de la crise humanitaire syrienne, on dira que ce genre de petites choses n'est pas vraiment urgent. «Mais nous, on pense que c'est aussi une urgence», me disait Marya. Le besoin de dignité est aussi une urgence.

La gorge nouée, devant les gens rassemblés à Damas, PQ, Marya a insisté sur ce besoin de dignité du peuple syrien, en citant les paroles de l'écrivain Khaled Khalifa. «Mon peuple est un peuple de paix, de café, de musique que, j'espère, vous savourerez un jour, de roses, dont j'espère qu'un jour le parfum vous parviendra, afin que vous sachiez que le coeur du monde est aujourd'hui exposé au génocide et que le monde entier est complice du sang versé.»