L'aéroport de Montréal était presque désert. Il était 3h du matin quand les quatre enfants de Rosine*, tout sourire, sont apparus. «Maman! Maman!»

Cela faisait plus de deux ans que Rosine attendait ce moment. Plus de deux ans qu'elle avait dû fuir son pays pour survivre et qu'elle se battait dans le seul but de retrouver ses enfants.

«Si je n'avais pas rencontré Maman Madeleine, je ne sais pas comment j'aurais fait, me dit-elle, émue. Elle est comme une deuxième mère pour moi.»

Originaire d'Afrique centrale, Rosine s'est réfugiée au Canada en 2013, fuyant des menaces de mort, après que son mari eut été assassiné. Elle se revoit ce soir d'hiver au centre de détention de Laval où on l'a envoyée après qu'elle eut demandé l'asile. La peur au ventre, elle pleurait en se demandant si elle avait pris la bonne décision, si elle allait un jour pouvoir revoir ses enfants.

Madeleine Desnoyers a rencontré Rosine par hasard alors qu'elle faisait, à titre de bénévole, un travail de recherche pour une ONG. Elle a été touchée par son courage. Impressionnée par sa détermination et sa débrouillardise. «Tout ce qu'elle voulait, c'est faire venir ses enfants ici», raconte-t-elle.

Pour atteindre son objectif, Rosine a vite retroussé ses manches. Elle a cumulé les petits boulots. Travail aux champs, assemblage de brochettes dans des pièces frigorifiées, travail en usine... Salaire minimum. Effort maximum.

Acceptée au pays comme réfugiée, Rosine a réussi, après un labyrinthe administratif long et coûteux, à obtenir sa résidence permanente et à faire toutes les démarches nécessaires pour que ses enfants puissent venir la rejoindre à Montréal. Mais comment pouvait-elle, avec son salaire de misère, payer les billets d'avion des enfants et l'installation dans un appartement plus grand que son deux et demie? C'était comme vouloir enjamber l'océan...

Que faire? Madeleine et elle ont cogné à la porte d'organismes d'aide aux réfugiés dans l'espoir d'obtenir un prêt ou un don. En ces temps de compressions, c'était peine perdue. Le gouvernement fédéral a bien un programme de prêts. Mais on les a bien averties qu'il s'agissait là d'un autre labyrinthe administratif d'au moins six mois au bout duquel il n'y a aucune garantie de prêt. Car pour obtenir un prêt, il faut prouver que l'on a les moyens de rembourser sa dette... Un beau cercle vicieux.

Pourquoi ne pas mener une campagne de financement dans les médias sociaux? Traumatisée par la mort de son mari et les menaces qui ont suivi, Rosine était réticente. Elle craignait pour la sécurité de ses enfants. Il valait mieux qu'aucune information sur sa situation ne circule dans les réseaux sociaux.

Alors quoi? Madeleine s'en est remise au bon vieux système du bouche à oreille. Elle a fait personnellement appel à la générosité de ses amis et de sa famille. Elle leur a demandé à leur tour de passer le mot à leurs contacts, sans utiliser les réseaux sociaux.

L'objectif fixé était de 6000$. En quelques semaines, une soixantaine de personnes se sont manifestées. Quelque 8000$ ont été amassés. L'agence de voyages a contribué généreusement aux démarches. Sans oublier tous ceux qui ont offert leur aide pour peindre et meubler le quatre et demie loué par Rosine dans l'arrondissement de Saint-Laurent, habiller les enfants, s'assurer que le frigo soit plein à leur arrivée, offrir un camp de jour aux petits...

Rosine avait peine à y croire. Tous ces gens qu'elle ne connaissait pas qui se montraient solidaires. Elle était aussi émue que reconnaissante. «Je n'ai jamais imaginé rencontrer des gens aussi formidables sur mon chemin, me dit-elle. Si tout le monde était comme eux, le monde ne pourrait plus souffrir. Je veux leur offrir mes sincères remerciements.»

Grâce à Madeleine et à tous ces généreux inconnus, Rosine a pu, par une belle nuit de printemps, serrer dans ses bras ses enfants, prêts pour une nouvelle vie. Aux côtés de sa deuxième mère et de bons Samaritains qui avaient proposé de l'accompagner le jour des retrouvailles, elle a attendu cinq heures et demie à l'aéroport, le temps que ses enfants sortent enfin des bureaux de l'immigration. «Quand je les ai vus, je ne savais plus si c'était la réalité, raconte-t-elle en riant. Je me suis dit: «Est-ce que ce sont vraiment mes enfants?» Ils avaient tant grandi!»

La priorité de Rosine, qui travaille six soirs par semaine au salaire minimum, est désormais de se trouver un emploi de jour pour pouvoir subvenir aux besoins des enfants et être auprès d'eux en soirée. Quand ils seront bien installés, elle aimerait suivre une formation professionnelle qui lui permettrait de décrocher un meilleur emploi.

Si je raconte cette histoire, c'est d'abord et avant tout parce que c'est une belle histoire. L'histoire d'un élan de solidarité qui a permis à une mère et à ses enfants d'enjamber un océan. Cela dit, sans vouloir être rabat-joie, je ne peux m'empêcher d'ajouter que cette belle histoire en révèle une autre plus inquiétante. Celle d'un système de plus en plus rigide et bureaucratique qui peine à venir en aide aux plus démunis.

Que l'on accueille des réfugiés, c'est très bien. Mais encore faut-il leur donner les moyens d'être réunis rapidement avec leur famille et de pouvoir s'installer. Les élans spontanés de solidarité, aussi inspirants soient-ils, ne peuvent se substituer à une véritable justice sociale. Or, ce que l'on constate, c'est que nos gouvernements se départissent de plus en plus de leurs responsabilités. L'aide octroyée du temps des boat people (et que personne ne regrette aujourd'hui) n'existe plus. Les choses ont changé de façon radicale, constate le Conseil canadien des réfugiés. Les temps sont beaucoup plus durs tant pour les réfugiés que pour ceux qui veulent leur venir en aide.

Qu'arrive-t-il à toutes les Rosine qui n'ont pas la chance de trouver une Madeleine sur leur chemin?

* Le prénom est fictif, l'histoire ne l'est pas.