Triste époque que celle où un stupide concours de dessins donne lieu à des attaques violentes encore plus stupides.

Alors que l'on célébrait dimanche la Journée mondiale de la liberté de la presse, une fusillade éclatait au Texas aux abords d'un centre où avait lieu un concours de caricatures de Mahomet.

Aussi provocateur soit cet événement organisé par Pamela Geller, une blogueuse controversée connue pour son discours anti-islam dissimulé sous un paravent antidjihad, cela n'enlève rien au caractère injustifiable de ces attaques, qui seraient liées à la piste islamique.

On l'a dit et redit après l'attaque de Charlie Hebdo en janvier. La liberté d'expression, ce n'est pas juste pour ceux qui pensent comme nous. C'est surtout pour les autres. Et ces «autres», ça inclut aussi des populistes, des politiciens d'extrême droite, des islamistes...

Personnellement, je préfère être Charlie quand il s'agit de dénoncer le sort d'un Raif Badawi, blogueur condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet en Arabie saoudite, que pour défendre une blogueuse comme Pamela Geller, qui distille la haine en se drapant de vertu. Cela dit, il faut être conséquent. On ne peut pas défendre la liberté d'expression uniquement pour les gens que l'on trouve brillants. Il y a des jours où c'est vraiment dur d'être Charlie.

Si ceux qui tuent et profèrent des menaces ont toujours tort, cela ne signifie pas que leurs victimes ont toujours raison. Je le disais la semaine dernière, à la suite de la controverse entourant la remise d'un prix de PEN à Charlie Hebdo. L'attaque au Texas en offre un exemple éloquent. Quand une militante anti-islam comme Pamela Geller et un député d'extrême droite comme Geert Wilders se posent en grands défenseurs de nos valeurs, il y a de quoi s'inquiéter.

Soyons clairs: rien ne justifie l'attaque au Texas. De là à faire de Pamela Geller et de Geert Wilders des héros, il y a un pas que je ne franchis pas. Car être Charlie ne veut pas dire qu'il faut mettre son sens critique au vestiaire. Cela ne veut pas dire non plus qu'il faut célébrer sans discernement tous les discours extrémistes de ce monde.

Pamela Geller est une des stars d'un mouvement anti-islam qui a de multiples ramifications sur le web. Elle est décrite par le Southern Poverty Law Center, un organisme américain qui combat la haine et documente les activités de groupes qui la distillent, comme la plus flamboyante figure de proue du mouvement antimusulman aux États-Unis. Elle est adepte de théories conspirationnistes. Elle a déjà écrit, en faisant référence à Barack Obama: «Hussein est un muhammadan. Il n'est pas fou... Il veut que le djihad gagne.»

En 2012, Pamela Geller était derrière la campagne publicitaire controversée dans le métro de New York dont les affiches aux propos haineux disaient: «Dans toute guerre entre le civilisé et le sauvage, soutenez le civilisé. Soutenez Israël, faites échec au djihad.»

Le discours de Geert Wilders, conférencier invité au concours de caricatures texan qui s'est terminé par une fusillade, navigue dans les mêmes eaux troubles de l'intolérance. Wilders est en croisade contre «l'islamisation» des Pays-Bas et propage son discours haineux aux États-Unis depuis quelques années. Il veut faire interdire le Coran, qu'il compare à Mein Kampf de Hitler, et mettre un terme à l'immigration en provenance de pays musulmans.

Tant Geller que Wilders sont cités dans le manifeste d'Anders Breivik, l'extrémiste norvégien qui, en 2011, a tué 77 personnes dans un rassemblement social-démocrate, au nom de ses idéaux ultranationalistes et islamophobes. Une enquête fascinante du journaliste Oyvind Strommen(*) a révélé que Breivik s'est radicalisé au contact de sites dits «contre-djihadistes» distillant la haine, comme celui de Pamela Geller. Ces mêmes sites qui, ironiquement, disent combattre les radicaux djihadistes, ce qui montre de façon troublante comment un extrême en appelle un autre.

Au cours de son enquête, Strommen s'est rendu compte qu'il existait des liens entre certains blogueurs obsédés par l'islam et des partis d'extrême droite. Il a aussi noté que les théories du complot dont ils sont friands ressemblent étrangement à celles de l'antisémitisme historique. Avant même que l'attentat d'Oslo ne se produise, il s'inquiétait du potentiel de violence de ces idées haineuses visant les immigrés - les musulmans surtout - et le pouvoir - surtout s'il est de gauche.

Conclusion: on a toujours tort de banaliser les discours haineux. Qu'ils soient prodjihadistes ou antidjihadistes, ils sont les deux faces de la même haine et se nourrissent les uns les autres dans une dangereuse spirale.

(*) La toile brune, Actes Sud, 2012