Quoi de mieux que des gens masqués qui intimident leurs opposants, commettent des actes de vandalisme, cassent la caméra de journalistes en se plaignant de «brutalité médiatique», pour enlever toute crédibilité à un mouvement? Pas grand-chose...

Pour le pouvoir, cette violence est une bénédiction, qui le conforte dans sa position et justifie la répression. La non-violence serait autrement plus embêtante.

Avec des alliés comme ceux-là, le mouvement étudiant n'a plus besoin d'adversaires. Les dérapages des derniers jours à l'UQAM sont une véritable aubaine pour le gouvernement Couillard. À qui la faute? Comment aurait-on pu éviter d'en arriver là? Le fait d'encadrer le droit de grève aurait-il pu prévenir les débordements? Y a-t-il eu une dérive autoritaire qui, sans excuser le saccage, permet d'en comprendre la genèse? On pourrait en discuter longtemps. Mais le résultat est le même: la piètre stratégie imposée par une minorité de militants anarchistes radicaux est en train de miner tout un mouvement social.

Que des étudiants - et là, je ne parle pas de la poignée de manifestants masqués qui agissent en leur nom - se sentent interpelés par un certain nombre d'enjeux de société et descendent dans la rue pour se faire entendre n'a rien d'inquiétant en soi. C'est même encourageant. L'indifférence m'inquièterait beaucoup plus. Mais force est de constater que la stratégie actuelle ne mène à rien. Si le mouvement étudiant espère que cette «grève sociale» serve à quelque chose, il faudrait trouver mieux. Savoir reculer pour mieux avancer, par exemple, comme le proposait l'ancien exécutif de l'Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ). Choisir le repli stratégique plutôt que de foncer tête baissée et risquer de perdre le peu d'appui populaire qu'il lui reste. Et bien comprendre à quoi on adhère si on permet à des radicaux masqués de prendre les commandes du mouvement.

La situation actuelle remet à l'avant-plan les enjeux liés à ce qu'on appelle dans les mouvements sociaux la «diversité des tactiques». Lorsqu'un mouvement social respecte la «diversité des tactiques» comme a tendance à le faire le mouvement étudiant, cela veut dire qu'il tolère l'usage ponctuel d'actes violents, considérés comme une forme de légitime défense contre un système oppressif. On a vu durant le printemps 2012 les problèmes que cela engendrait pour la crédibilité du mouvement étudiant. Quand un mouvement majoritairement non violent est appuyé par des militants anarchistes utilisant la violence et la confrontation comme moyens de lutte, cela ne peut que lui nuire, même si ces militants restent minoritaires. Car de qui parlera-t-on au lendemain de la manifestation? Des 1000 manifestants pacifiques ou des 10 anarchistes qui ont cassé des vitres de banques? Et si en plus les porte-parole du mouvement, liés par le respect de la «diversité des tactiques», ne se sentent pas autorisés à condamner ces éclats de violence, quel message retiendra-t-on? À qui profiteront les vitres brisées?

Pour des militants anarchistes qui croient en ce genre de tactiques, ce n'est pas un problème. La confrontation est un but en soi qui galvanise leurs troupes. Aux actions pacifiques de confrères qu'ils trouvent trop conciliants avec le système, ils veulent opposer des actions plus spectaculaires. Dans les années 80, des anarchistes disaient «No Future». Aujourd'hui, certains disent «Fuck toute». Que veulent-ils? Faire tomber le système. Ou du moins le perturber en employant des moyens violents s'il le faut pour, selon cette logique, se défendre contre la violence de l'État. Oubliez la lutte contre les politiques d'austérité du gouvernement libéral. C'est le système au complet qu'ils veulent renverser. Car s'il ne vaut rien, à quoi bon tenter de le réformer?

Pour ceux qui croient en ce genre de tactiques, ce n'est pas un problème, disais-je. Ils ne cherchent pas l'assentiment populaire. La répression de leurs actes les galvanise davantage et leur donne une raison d'être. Mais pour l'ensemble du mouvement étudiant qui croit à la lutte non violente, c'est un sacré problème. D'où la question: les étudiants comprennent-ils bien à quoi ils adhérent quand ils respectent le principe de la «diversité des tactiques» ? Se rendent-ils compte que cela les mine de l'intérieur et prend le dessus sur une lutte non violente qui serait beaucoup plus efficace? Car s'il ne reste de cette «diversité de tactiques» que ses éléments les plus radicaux, quel gain le mouvement étudiant peut-il espérer faire? Aucun. Et le gouvernement est mort de rire.