Je n'étais pas Charlie. Je n'étais pas toujours d'accord. Cela n'enlève rien à l'effroi et à la colère que j'ai ressentis mercredi, en apprenant la nouvelle. Cela n'enlève rien à mon indignation devant cet attentat terroriste ignoble. Cela n'enlève rien à la tristesse infinie devant ces 12 vies perdues de façon aussi tragique. Cela n'atténue en rien ma colère devant ces djihadistes cagoulés qui, armes automatiques à la main, ont voulu faire taire un journal.

Les Français parlent de ce jour sombre comme de leur 11-Septembre. Et comme pour le 11-Septembre, il y aura un «avant» et un «après». Un «après» forcément douloureux.

La tentation de répondre par la vengeance et la haine sera grande. Marine Le Pen l'a vite compris. Hier matin, la présidente du Front National a mis en ligne une vidéo où elle condamne l'idéologie meurtrière de l'islamisme radical tout en se disant en faveur d'un référendum sur la peine de mort si elle est élue à la tête de la République. Comme si une barbarie pouvait en chasser une autre.

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Je n'étais pas toujours d'accord avec les choix éditoriaux de Charlie Hebdo. Je l'ai déjà écrit.

Quand a surgi la controverse autour des caricatures de Mahomet en 2006, j'étais de ceux qui croyaient qu'il valait mieux, dans le contexte de l'époque, ne pas les publier. En 2012, quand le journal satirique, en pleine controverse au sujet de la diffusion sur le web d'un mauvais film américain se moquant de l'islam, a décidé de publier de nouvelles caricatures, j'étais aussi très critique.

Mercredi, le contexte était tragiquement différent. À mon sens, par solidarité, il fallait publier les caricatures de Charlie Hebdo comme l'ont fait de nombreux médias d'ici et d'ailleurs. Il fallait le faire à la mémoire des victimes. Il fallait le faire pour réaffirmer notre attachement à ce principe fondamental qu'est la liberté d'expression. Cette liberté qui a été cruellement attaquée sans aucune justification possible.

Il se trouve maintenant des gens pour dire que ce mouvement de solidarité n'est qu'hypocrisie, que tous ceux qui étaient critiques hier sont coupables par association aujourd'hui. Des polémistes qualifient de lâches complices tous les médias qui ont refusé dans le passé de publier les controversées caricatures de Mahomet. Tout regard critique posé sur Charlie Hebdo est vu par certains comme une preuve de complicité avec les extrémistes djihadistes. Comme s'il n'y avait plus que deux possibilités: soit vous renoncez à tout esprit critique à l'endroit de Charlie Hebdo, soit vous êtes avec les djihadistes.

Soyons clairs: il n'appartient pas aux fanatiques de tracer les limites de la liberté de la presse. Si on est libre de publier uniquement ce qui fait l'unanimité, on n'est plus libre du tout.

Dans des sociétés où la liberté d'expression veut dire quelque chose, on ne peut remettre en question le droit d'un journal de publier les caricatures qui lui plaisent, même (ou surtout) si cela déplaît. En démocratie, on doit toutefois pouvoir en discuter et en débattre. Car la liberté d'expression, c'est aussi la liberté d'exercer son jugement critique. La liberté de choisir ce qu'on publie ou pas dans un contexte donné. Établir un lien de cause à effet entre ce jugement critique et l'attentat contre Charlie Hebdo me semble pour le moins injuste.

On en est malheureusement là. Endeuillés, meurtris, fragiles. Proies vulnérables pour tous les marchands de raccourcis simplistes.

Mercredi, à Paris, il n'y a pas que la liberté qui fut noyée dans un bain de sang. Il y a aussi la nuance.