Mercredi dernier, à 18h35, dans la chambre d'exécution de Huntsville, au Texas, Willie Trottie, 45 ans, a été tué par injection létale. Condamné à mort pour le meurtre de son ex-compagne et de son beau-frère en 1993, il est devenu le 1388e prisonnier exécuté aux États-Unis depuis 1977.

Son nom ne vous dit sans doute rien. Il ne me disait rien non plus avant de recevoir, l'automne dernier, une lettre dactylographiée de sa part. Il avait obtenu mon adresse au journal par l'entremise de Marie-Pierre, une Montréalaise avec qui il correspondait. Elle lui avait parlé de mon reportage dans le couloir de la mort texan publié l'an dernier. J'y avais interviewé Hank Skinner, un prisonnier qui clame son innocence.

Willie Trottie m'a écrit dans l'espoir d'attirer l'attention sur son histoire. Comme Hank Skinner, il était dans le couloir de la mort depuis 20 ans. Mais contrairement à Skinner, il ne clamait pas son innocence. Il avait reconnu avoir commis l'horrible double meurtre dont il était accusé. Ce qui n'atténue en rien l'injustice de son sort. Car le système de peine de mort n'est pas injuste et cruel uniquement quand il tue des innocents. Il l'est aussi quand il tue des coupables.

Depuis 20 ans, les nombreux cas d'erreurs judiciaires prouvés grâce à des tests d'ADN ont contribué au déclin de la peine de mort aux États-Unis. On peut s'en réjouir. En même temps, comme me l'a fait remarquer le professeur de droit texan David R. Dow, il y a une mauvaise nouvelle dans cette bonne nouvelle. Que les gens soient contre la peine capitale seulement quand ils croient que la personne est innocente n'est pas vraiment une avancée en matière de droits de la personne. «Les gens ont toujours été contre l'exécution de personnes innocentes!»

Propeine de mort dans une autre vie, David R. Dow a commencé lui-même à changer d'avis à ce sujet quand il a réalisé que les détenus du couloir de la mort ne sont pas différents de ceux qui n'y sont pas. Ce ne sont pas ceux qui ont commis les pires crimes. Trop souvent, ce sont des gens qui n'ont pas eu le droit à une défense équitable. Parce qu'ils sont Noirs, parce qu'ils sont Latinos, parce qu'ils sont pauvres. Dès lors, comment défendre un système de justice qui viole les principes mêmes sur lesquels il est fondé?

L'histoire de Willie Trottie - Noir, pauvre, abandonné en bas âge par une mère alcoolique et victime d'agressions - illustre aussi bien les iniquités que la barbarie du système de peine de mort. Estimant ne pas avoir eu accès à une défense digne de ce nom, le condamné à mort avait bien tenté d'obtenir une commutation de peine pour procès inéquitable. En vain.

Son dernier appel devant la Cour suprême a été rejeté 90 minutes avant sa mise à mort. L'appel portait notamment sur le secret de fabrication de l'anesthésiant utilisé pour tuer les condamnés. Le sujet suscite la polémique depuis que des sociétés pharmaceutiques refusent de fournir du pentobarbital aux États qui s'en servent pour exécuter leurs condamnés. La pénurie pousse les autorités carcérales à s'approvisionner en secret auprès de pharmacies non homologuées, ce qui augmente les risques d'utiliser des produits déficients ou périmés conduisant à des exécutions bâclées. «Nous n'avons aucune assurance que les médicaments utilisés pour nous tuer sont adéquats ou légaux!», m'écrivait Willie Trottie.

En fait, comme l'ont noté des défenseurs des droits de la personne, les États-Unis exigent plus de transparence pour l'euthanasie des animaux que pour l'exécution d'êtres humains.

Mercredi dernier, à Montréal, une heure avant l'exécution de Willie Trottie, Marie-Pierre a écrit ceci sur sa page Facebook: «Je suis en train de perdre un ami et je ne suis pas à ses côtés pour le veiller. Et la vie qui continue de crépiter, partout.»

Marie-Pierre, une documentaliste de 34 ans, avait commencé à correspondre avec Willie Trottie il y a près de deux ans, après avoir vu le film Un trou dans le temps de Catherine Proulx, portant sur l'univers carcéral. Le documentaire lui a fait réaliser à quel point les prisonniers ont besoin d'être en relation avec des gens qui ne les jugent pas.

En surfant sur un site d'opposants à la peine de mort, elle est tombée par hasard sur le nom de Trottie. Le nom l'a d'abord intriguée. Trottie, ça ressemble à Trottier. Puis, elle a lu la petite annonce qu'il avait rédigée. Il disait qu'il voulait voir le monde à travers les yeux de gens qui ne sont pas emprisonnés. Marie-Pierre a trouvé ça beau. Elle lui a écrit. Une amitié épistolaire est née.

Ils se sont échangé des dizaines de lettres. De longues lettres où ils parlaient de tout. De leur enfance, de leurs amis respectifs. De son Dieu à lui, du flamenco dont elle est passionnée. De la vie en prison, de la vie avant la prison. De son fils, de son crime. De la tragédie de Lac-Mégantic (au sujet de laquelle Willie Trottie a ajouté à la main une note au dos de la lettre qu'il m'a envoyée: «Mes pensées et mes prières aux familles/victimes»).

En avril, Marie-Pierre est allée lui rendre visite, dans le couloir de la mort texan. Durant huit heures, ils se sont parlé de vive voix, une vitre dressée entre la cage du détenu et la chaise de son amie. C'était la première fois qu'ils se voyaient. La dernière, aussi.

Sa dernière lettre, elle l'a reçue le 11 septembre, au lendemain de son exécution. Elle était datée du 31 août. Willie Trottie lui disait merci pour tout. Il disait qu'il gardait espoir d'un sursis. Mais que peu importe l'issue, sa foi aidant, il demeurait en paix.

Sanglé à la table d'exécution, les derniers mots de Willie Trottie avant qu'on ne lui injecte la mort ont été des excuses aux victimes de son crime. «Je m'excuse. Tenez bon. Jésus, ramène-moi à la maison.»

Il a été déclaré mort 22 minutes après le début de l'injection létale.

Par son double meurtre, il avait brisé une famille, souligne Marie-Pierre. Mais sa mise à mort n'a fait que démultiplier la tragédie, note-t-elle. Son fils, orphelin de mère à cause du meurtre, est devenu orphelin de père. Aux parents de son ex-conjointe, qui avaient perdu une fille et un fils, tués par Trottie, s'ajoute désormais le père du condamné, qui a perdu son fils, tué par l'État. Aux cadavres laissés par le drame de 1993 s'ajoutent les âmes mortes de ceux qui restent.