Un État peut-il vraiment tuer un homme avec humanité? La question a été relancée cette semaine à la suite de cette exécution par injection létale qui s'est transformée en scène de torture en Oklahoma.

«Même quand la peine de mort est justifiée, elle doit être appliquée avec humanité», a déclaré le porte-parole de la Maison-Blanche. Dans ce cas, le critère d'«humanité» n'a pas été respecté, a-t-il admis. La question que je me pose: en a-t-il déjà été autrement?

Rappelons les faits ici: Clayton Lockett, condamné à la peine capitale pour le viol et le meurtre d'une jeune femme de 19 ans, a été exécuté mardi à l'aide d'un cocktail médicamenteux mystérieux encore jamais testé par l'Oklahoma. Sa mise à mort s'est transformée en longue agonie. Le plan d'exécution n'a pas fonctionné comme prévu. Quinze minutes après qu'on lui eut injecté un sédatif, l'homme s'est mis à respirer très fort, en gémissant et en agitant les bras et les jambes. «Ça ressemblait à de la torture», ont dit des témoins.

Une employée du pénitencier a aussitôt ordonné que l'on tire les rideaux. Il ne fallait surtout pas laisser les témoins assister à cette scène aussi insoutenable qu'embarrassante.

Le condamné serait finalement mort d'un arrêt cardiaque, 45 minutes après le début de sa mise à mort.

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Ce n'est pas la première fois qu'une exécution par injection létale est «ratée» de la sorte aux États-Unis. Mais même lorsqu'elles sont «réussies», il est illusoire de croire que les exécutions puissent se faire de façon «humaine».

L'an dernier, dans le cadre d'un reportage dans le couloir de la mort texan, j'ai rencontré Carroll Pickett, ancien aumônier de la prison de Huntsville. Homme à la mémoire torturée, autrefois pro-peine de mort, c'est lui qui a assisté à la toute première exécution par injection létale au monde, en 1982. À l'époque, m'a-t-il raconté, on présentait cette méthode comme étant plus «humaine» que la chaise électrique. «Mais maintenant, je ne vois absolument rien d'humain là-dedans», a dit cet homme devenu un fervent abolitionniste.

Il faut appeler les choses par leur nom, insistait-il. La peine de mort est un meurtre. Un crime cruel commis par l'État qui, au nom de la justice, tue pour dire qu'il ne faut pas tuer. Mais on aurait tort de confondre justice et vengeance.

Carroll Pickett a accompagné 95 condamnés à mort jusqu'à leur dernier souffle. Il a assisté à 95 injections létales. Il était là même quand on tirait les rideaux. Je n'oublierai jamais la description horrifiante qu'il a faite de l'exécution «ratée» de Carlos DeLuna, un jeune homme de 27 ans exécuté en 1989 pour un meurtre qu'il n'avait pas commis - une enquête a prouvé après sa mort qu'on l'avait confondu avec un autre «Carlos».

L'agonie de Carlos DeLuna avait semblé durer une éternité. On lui avait administré le cocktail de trois injections communément utilisé à l'époque. La première injection de barbiturique ne l'avait pas endormi comme prévu. La deuxième, une injection de bromure de pancuronium, avait eu comme effet de le paralyser. C'est un produit banni par l'Association des vétérinaires américains, qui le juge trop cruel pour euthanasier des animaux.

Dans la chambre d'exécution, ce produit paralysant est principalement utilisé pour préserver les témoins d'une vision d'horreur: celle d'un homme qui, autrement, se débattrait comme un poisson hors de l'eau au moment où on lui injecte la mort. C'est une façon de maquiller l'obscénité, de rendre la peine de mort plus «esthétique». Derrière le rideau, la réalité reste pourtant la même. Même si Carlos DeLuna ne pouvait se débattre, Carroll Pickett a bien lu sa souffrance dans ses yeux grands ouverts. L'aumônier est resté hanté à tout jamais par le regard de détresse de ce jeune homme.

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Pour les partisans de la peine de mort, il est commode d'entretenir le mythe selon lequel il existe une telle chose qu'une exécution «humaine» qui puisse éliminer le crime sans douleur. La réalité, c'est que la peine de mort est avant tout un système barbare, injuste, arbitraire, coûteux et sans effet dissuasif. Sans compter le fait que, dans au moins 4 % des cas selon une récente étude, ce système condamne des innocents.

Carroll Pickett est convaincu que si les gens savaient vraiment ce qui se passe dans une chambre d'exécution, ils comprendraient à quel point la peine de mort est inhumaine. Il a lancé en vain l'invitation aux hommes politiques pro-peine de mort. «Just watch one!» Venez en voir une seule. Venez en voir une où il faut tirer les rideaux...

Ses propos font écho aux célèbres mots d'Albert Camus, dans ses Réflexions sur la guillotine, en 1957. Lorsque le silence ou les ruses du langage contribuent à maintenir un abus, il faut à tout prix «montrer l'obscénité qui se cache sous le manteau des mots», disait Camus.

Il parlait de la peine de mort (abolie en France en 1981) comme d'un «rite primitif» dont la survivance était assurée par l'insouciance ou l'ignorance de l'opinion publique. «Un peuple sourd enregistre distraitement la condamnation d'un homme. Mais qu'on montre la machine, qu'on fasse toucher le bois et le fer, entendre le bruit de la tête qui tombe, et l'imagination publique, soudain réveillée, répudiera en même temps le vocabulaire et le supplice.»

À première vue, l'injection létale peut sembler moins horrifiante que la guillotine. Mais l'obscénité qui se cache derrière le rideau est la même. L'exécution «ratée» de cette semaine aura au moins eu le mérite de le rappeler.