«Allez-vous vous excuser, M. Searle?

- M'excuser pour quoi?»

Au bout du fil, le conseiller municipal Jeremy Searle rit. Il a l'air bien amusé par mon appel. Il faut dire que l'on n'a jamais autant parlé de lui que depuis sa déclaration injurieuse sur les «séparatistes». Être sous les projecteurs pour les mauvaises raisons ne semble pas lui déplaire.

Résumé de cette triste controverse pour ceux qui, dans le déluge de commentaires postélectoraux, n'en ont pas entendu parler: au lendemain de la défaite du Parti québécois, M. Searle, conseiller indépendant, a pris la parole au cours de l'assemblée du conseil de Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce. Alors que ses collègues venaient de féliciter les nouveaux élus provinciaux de l'arrondissement, M. Searle a dit qu'il n'avait pas de félicitations à leur transmettre.

Pour la suite de sa déclaration, je me permets d'ouvrir les guillemets, un peu comme on soulève le couvercle d'une poubelle: «J'ai toutefois [des félicitations] à transmettre à vous, les citoyens. Vous bénéficierez de quatre ou cinq ans sans la présence écrasante des séparatistes qui tentent de détruire notre économie et notre mode de vie...»

«Peut-être que dans 10 ans, nous pourrons les éradiquer, un peu comme on souhaite le faire avec l'agrile du frêne, qui fait cependant moins de dégâts que les séparatistes. C'est un souhait pour l'avenir.»

Sur l'internet, dans les médias sociaux, ce genre de propos injurieux, le plus souvent signés par de courageux anonymes, méritent rarement qu'on s'y attarde. M. Searle ne fréquente pas les réseaux sociaux. Il n'est malheureusement pas de ces illustres anonymes dont on peut ignorer le discours. C'est un élu municipal. Il a le mandat de représenter dignement ses citoyens. Il a le privilège d'avoir une tribune pour s'exprimer en leur nom et dans leur intérêt supérieur. Injurier ceux qui ne partagent pas ses opinions - en les comparant, par exemple, à des insectes voraces - n'est pas à proprement dire une façon digne d'honorer ses fonctions.

Les propos haineux de M. Searle n'ont pas choqué uniquement des souverainistes. Le maire Denis Coderre, aux affinités fédéralistes bien connues, les a qualifiés d'indécents et d'inacceptables. Il a fait ce qu'un maire responsable doit faire dans un tel cas: réclamer des excuses publiques. Le maire de l'arrondissement, l'ancien député libéral Russell Copeman, a fait la même chose. Des citoyens de toutes allégeances, anglophones et francophones, ont aussi dénoncé les propos du conseiller. Il y a même une pétition qui circule pour demander sa démission.

Et puis? Et puis, rien! Plus d'une semaine après sa déclaration incendiaire, on attend toujours les excuses de M. Searle. Lorsque je lui ai demandé ce qu'il répondait au maire Coderre, j'ai été abasourdie par sa réponse. «C'est lui qui me doit des excuses! Il m'a attaqué personnellement!»

Bref, le conseiller Searle veut des excuses parce qu'on lui a demandé de s'excuser pour des propos indignes d'un élu... Il aurait été mal compris, le pauvre. Il ne voulait pas comparer les «séparatistes» à des insectes qu'il faudrait «éradiquer», dit-il. S'il l'a fait, c'était bien contre son gré... Il ne parlait pas d'«êtres humains» mais du «mouvement séparatiste», a-t-il ajouté en s'empêtrant davantage dans ses explications. Et puis, il n'a pas fait cette déclaration «à des fins médiatiques». Il avait juste oublié que les séances du conseil sont désormais webdiffusées. Bref, il avait oublié qu'un élu ne peut plus dire des niaiseries impunément... Le bon vieux temps est révolu, quel dommage!

La seule chose qu'il regrette, c'est d'avoir fait référence à «l'éradication». «Ça, ce n'est pas correct, reconnaît-il. C'est l'écho des nazis.» Un détail!

«Et si Denis Coderre avait dit que les gens qui pensent comme Jeremy Searle doivent être éradiqués comme des insectes, auriez-vous trouvé ça correct?»

Le conseiller rit encore en entendant ma question. Il rit même si ce n'est pas drôle. Il finit par dire, du bout des lèvres: «Si les gens ont compris que j'ai comparé les séparatistes à des insectes, j'offre mes excuses.»

Il insiste sur le «si». Manière de dire: «Je m'excuse moi non plus.» Car même en relisant ses propos, il n'a rien vu d'offensant. Ben non! Il a juste comparé des millions de gens qui rêvent d'un pays à des petites bestioles qui s'attaquent aux arbres. Il faudrait sans doute y voir un compliment!