À la veille d'une campagne électorale, festival de la langue de bois par excellence, assister à un combat contre le parler-pour-ne-rien-dire a quelque chose d'aussi thérapeutique que rafraîchissant.

C'est ce que j'ai eu le plaisir de faire mercredi soir, à l'invitation de D. Kimm, la lumineuse directrice des Filles électriques - qui, comme elle aime à le répéter, n'est pas une agence de rencontres, mais bien une compagnie artistique multidisciplinaire qui sait sortir des clichés battus.

Le combat contre la langue de bois, qui en était à sa neuvième année, est une initiative née d'un ras-le-bol de D. Kimm. L'artiste en avait assez d'avoir l'impression que l'on ne dit plus rien même quand on prend la parole. D'où l'idée de cette soirée-bénéfice hors-norme, où des personnalités sont invitées à monter sur scène pour parler, en cinq ou six minutes, d'un sujet qui leur tient à coeur, allant de l'intime au politique. Invitées en somme à combattre leur propre langue de bois.

Parmi les 12 combattants, cette année, des gens aux horizons divers. Du très persévérant Claude Robinson à la sénatrice féministe Céline Hervieux-Payette. De l'écrivain inclassable Alain Farah au «Casanova de la stratégie» John Parisella.

La langue de bois, on le sait, est l'art de ne rien dire. Officiellement, tout le monde est contre, ça va de soi. Nous vivons à une époque où le «parler-vrai», le «franc-parler», est encore plus souvent récupéré que le discours écologiste, faisait remarquer avec raison le maître de cérémonie, le zapartiste Jean-François Nadeau. Une époque où ce qu'on dit être un combat contre la langue de bois n'est trop souvent qu'une autre forme de langue de bois, plus pernicieuse encore.

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J'ai pris connaissance avec amusement cette semaine du palmarès des formules toutes faites du maire Denis Coderre que mes collègues qui couvrent la scène municipale ont dressé. Même s'il se présente comme un pourfendeur de la langue de bois qui tweete plus vite que son ombre, le maire a toujours à portée de main une valise pleine de formules vides à usages multiples qu'il se plaît à répéter. Des phrases creuses comme «Il y a des réalités» ou «Il faut que la main gauche parle à la main droite». Pourfendeur de la langue de bois, vraiment?

Est-il possible de faire de la politique sans s'appuyer sur des formules creuses? Est-il possible, comme citoyen, d'échapper aux cassettes usées?

Oui, ce l'est peut-être, se disait-on en écoutant les boxeurs anti-langue de bois de ce neuvième combat. Il fallait entendre Céline Hervieux-Payette dénoncer sans mâcher ses mots le sexisme encore trop présent en politique. «Messieurs, un peu de courage!», a-t-elle lancé, en rappelant à quel point nous sommes loin d'une véritable égalité.

«Moi, la langue de bois, je ne connais pas!», a dit la sénatrice qui a suscité toute une controverse, il y a quelques années, avec une charge à fond de train contre la politique américaine. À des Américains qui critiquaient les méthodes «horribles» utilisées pour chasser le phoque au pays, Mme Hervieux-Payette avait répondu que ce qu'elle trouvait horrible, elle, c'était le massacre de personnes innocentes en Irak, l'exécution de détenus dans les prisons américaines et la politique étrangère agressive du gouvernement américain.

Ses propos n'ont pas passé le test de la langue de bois. Un communiqué fut vite publié pour préciser que les commentaires de Mme Hervieux-Payette «reflètent son opinion personnelle, et non celle du Parti libéral du Canada».

La politique sans langue de bois, le maire impertinent Luc Ferrandez semble y croire aussi, lui qui a le mérite de dire ce qu'il pense, même si ça le dessert parfois. En début de semaine, dans une entrevue au Devoir, il a fait une sortie en règle contre le travail des médias qu'il juge «pauvres, grossiers et minables». Il donnait l'exemple d'un journaliste de TVA qui s'est filmé à côté d'un banc de neige qui dégelait au printemps pour en faire le cas type du déneigement dans le Plateau Mont-Royal.

Pauvres, grossiers et minables, vraiment? Non, pas tout à fait, a-t-il rectifié. «J'aimerais m'excuser. Ils ne sont pas pauvres! Certains se sont enrichis.»

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Loin des mots creux, on a aussi entendu Claude Robinson parler des ravages de l'intimidation - celle dont il a été victime tout au long de son combat contre Cinar et celle dont sont victimes des enfants dès la cour d'école. Il y a aussi eu l'hilarant Fabien Cloutier, qui a raconté sa tentative ratée d'être fier d'être canadien durant les Jeux de Sotchi et son aversion pour la «fierté jetable après utilisation». Sur une note plus grave, l'homme de théâtre Mani Soleymanlou nous a donné des frissons en racontant le cancer auquel il a survécu et son inquiétude devant cet autre cancer déclenché au Québec. «À quand la première séance de chimio?»

Pour la chimio, je ne sais pas. Mais pour la séance de thérapie électrique anti-langue de bois, c'est fait. Merci.