À l'heure des bilans, notre chroniqueuse nous propose sa revue impressionniste de 2013 en 7 temps.

1. La rencontre la plus bouleversante

Ma rencontre avec ce remarquable indigné qu'est le Dr Denis Mukwege. En lice pour le prix Nobel de la paix, cet homme a soigné depuis 1999 plus de 40 000 femmes violées dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), où le viol est une arme de guerre. Grand défenseur des survivantes de viol, il a lancé une campagne contre les violences sexuelles et profite de chaque tribune qui lui est offerte pour tenter d'éveiller les consciences.

Le Dr Mukwege estime à 500 000 le nombre total de femmes et de filles violées en RDC depuis 15 ans. Combien en faudrait-il au juste pour que la communauté internationale se réveille? «Et si c'était des hommes qui subissaient ce que je vois les femmes subir, est-ce que le monde se tairait de la même façon?»

2. Le chiffre le plus triste

Près de 126 000 personnes ont été tuées en Syrie depuis 30 mois, selon les chiffres compilés par l'Observatoire syrien pour les droits de l'homme au début du mois de décembre. Un bilan désormais plus lourd que celui de la guerre en Bosnie.

Avant d'être un charnier, la Syrie évoquait surtout pour moi de chaleureux souvenirs de famille. C'est le pays natal de ma mère. Ce fut aussi le premier refuge de mon grand-père, survivant du génocide arménien, avant qu'il ne vienne s'établir à Montréal en 1967.

Je n'y suis allée qu'une seule fois, il y a plus de 15 ans. J'avais été séduite par Alep, ville fascinante qui semblait avoir tout vu, tout vécu. Alep, pauvre Alep, qui ne se doutait pas encore du brasier qui la guettait.

Je m'étais promis d'y retourner un jour avec mes enfants. Sans gilet pare-balles, si possible. De ma promesse, il ne reste plus que des cendres.

3. L'entrevue la plus troublante

Dans le couloir de la mort texan, mon entrevue avec Henry Hank Skinner. Voilà près de 20 ans que cet homme, condamné à mort pour un triple meurtre, clame son innocence. Ce sera son dix-neuvième Noël en prison. Trois fois, on lui a indiqué la date de sa mort. Trois fois, son exécution a été suspendue in extremis. Une fois, il l'a su seulement 23 minutes avant l'heure prévue pour sa mise à mort. Une forme de torture courante dans le couloir de la mort.

Je l'ai rencontré en janvier. Dans les mois qui ont suivi, les résultats de tests d'ADN menés sur trois cheveux sont venus appuyer davantage la thèse de l'innocence. Au bout du couloir, de plus en plus de doutes. Hank Skinner serait-il à trois cheveux d'être disculpé?

4. La meilleure émission pour ne pas être malade idiot

J'ai passé la fin de l'été et une bonne partie de l'automne alitée, à cause d'un foutu virus qui ne voulait plus me quitter. Pas assez de force pour lire, et l'ordre du médecin de m'éloigner de tout écran. Il me restait la radio comme seule bouée.

La meilleure émission pour ne pas être malade idiot? Plus on est de fous, plus on lit, animée par l'excellente Marie-Louise Arsenault, à la Première Chaîne de Radio-Canada.

J'ai eu le temps d'exhumer ses archives dans le désordre (www.radio-canada.ca/emissions/plus_on_est_de_fous_plus_on_lit/2013-2014/). J'y ai découvert avec bonheur des gens brillants comme Fabien Cloutier et Mani Soleymanlou. Et j'y ai cueilli des suggestions de lecture pour l'éternité. Merci à toute l'équipe. Merci, virus.

5. Les courriels les plus gentils

Le monde des médias est le royaume de l'éphémère. Celui qui n'est pas là n'existe plus. Ainsi ai-je été très touchée par les nombreux messages de lecteurs qui, durant mon absence, se demandaient où j'étais passée. Vraiment heureuse de vous retrouver.

6. Les courriels les plus méchants

Même durant mon absence, j'ai reçu des insultes préventives au sujet des chroniques que j'aurais pu écrire. Il faut le faire, quand même!

Je ne les citerai pas. Car ces insultes ne font pas que nuire à la qualité des débats. Elles influencent gravement notre capacité de raisonner, révélait cette année une intéressante étude réalisée par des professeurs de l'Université du Wisconsin.

Dans le cadre de cette étude menée auprès de 1200 personnes, on a proposé à des gens de lire un texte tiré d'un blogue fictif sur les avantages et les risques des nanotechnologies. Puis, certains participants choisis au hasard étaient invités à lire des commentaires agressifs sur le sujet (du type «Si tu ne comprends pas les bénéfices, tu es un idiot»), alors que d'autres devaient lire des points de vue semblables, les insultes en moins.

Résultat: alors que les lecteurs qui avaient lu les commentaires posés continuaient d'interpréter les faits de la même façon, on a observé une polarisation et une radicalisation chez ceux qui avaient été exposés aux commentaires bêtes et méchants.

Ainsi, certains médias, comme Popular Science, ont renoncé récemment à publier les commentaires des lecteurs. Car même un nombre infime de propos agressifs peut miner la capacité des lecteurs à bien comprendre les faits. Ce n'est pas un détail dans la mesure où les commentaires façonnent l'opinion publique, qui à son tour façonne les politiques publiques.

À retenir lors des inévitables débats politiques à venir.

7. Le livre le plus éclairant

J'avais lu Les identités meurtrières d'Amin Maalouf à sa sortie, en 1998. Je viens de le relire, en quête de repères de sagesse dans le débat sur la Charte de la laïcité qui semble bien mal engagé.

Même avec un décalage de 15 ans, cet essai éclairant sur l'identité et les passions qu'elle suscite est toujours brûlant d'actualité.

«C'est notre regard qui enferme souvent les autres dans leurs plus étroites appartenances, et c'est notre regard aussi qui peut les libérer», écrit Maalouf. À méditer.

Sur ce, chers lecteurs, joyeux Noël. Je vous souhaite de la paix, de l'amour, de la santé. Et des débats sereins autour du sapin.