«Ici, l'histoire se poursuit», dit en grosses lettres une plaque en laiton posée à l'entrée du centre sportif de Notre-Dame-de-Grâce. Une plaque officielle de la Ville de Montréal, dévoilée par Michael Applebaum et Gérald Tremblay il y a deux ans.

Derrière une grande baie vitrée, des nageurs font leurs longueurs. Dans le parc, des cris d'enfants joyeux. Sous un ciel hésitant qui finit par s'éclaircir, des mères et leurs poussettes, des petits qui jouent, des passants qui promènent leur chien. Et les deux maires qui avaient annoncé ici même que «l'histoire se poursuit» sont aujourd'hui deux ex-maires déchus.

L'histoire se poursuit, c'est vrai. Ça aurait pu être une belle histoire. Mais l'arrestation de M. Applebaum, celui-là même qui promettait d'assainir l'air montréalais, semble pointer vers un nouveau chapitre nauséabond. Des manoeuvres douteuses autour de ce centre sportif tout neuf de 15 millions seraient au coeur du nouvel épisode. Montréalais, à vos pince-nez.

«Je ne suis pas surprise!», me dit d'emblée Diane Chambers, à propos de l'arrestation de M. Applebaum. En 2007, cette dame faisait partie d'un groupe de citoyens qui s'opposaient à ce que le centre sportif soit construit dans le parc Benny. Elle n'en avait pas contre le centre sportif en soi - une nécessité dans le quartier. Elle en avait contre le fait de priver l'arrondissement d'un espace vert précieux alors qu'un terrain de Benny Farm, juste de l'autre côté de la rue, avait déjà été acheté par la Ville et semblait tout à fait adéquat pour accueillir ce projet.

Les plans initiaux, soumis à la consultation publique, prévoyaient justement que le centre sportif soit construit là, à Benny Farm. Un emplacement qui «faisait consensus», croyait-on. Or, à la grande surprise des citoyens, M. Applebaum, maire de l'arrondissement à l'époque, a chamboulé les plans. Sans qu'on comprenne très bien pourquoi, il a voulu faire changer le zonage pour que le centre sportif soit plutôt construit dans le parc. Il a mené une campagne pour couper l'herbe sous les pieds des opposants. Les citoyens inquiets ont perdu leur bataille par 10 voix. Ils ont perdu une partie du parc. Ils ont surtout perdu toute confiance en leur mairie d'arrondissement.

«Ce fut une expérience très difficile», dit Mme Chambers, en me montrant des lettres de protestation qui témoignent de cette bataille perdue. Une des lettres, adressée à Michelle Courchesne, ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport de l'époque, est cosignée par David B. Hanna, professeur d'urbanisme à l'UQAM. Comme d'autres citoyens, le professeur Hanna s'y disait troublé par le manque de transparence du processus de consultation. Il demandait à la ministre que soit mené un processus consultatif sérieux avant de donner le feu vert à ce projet qui risquait de sacrifier un rare espace vert inutilement.

Peu de temps après avoir écrit cette lettre, M. Hanna a reçu un appel du vice-recteur de l'UQAM qui lui disait que M. Applebaum était furieux contre lui. Si furieux que son attaché politique a demandé que le professeur soit réprimandé pour avoir osé écrire cette lettre.

Le professeur a d'abord ri. Mais ce n'était pas drôle. Il venait de se frotter à un maire qui ne comprenait pas les principes élémentaires de la démocratie. Le vice-recteur a pris la défense du professeur, qui n'avait commis aucune faute en exprimant son point de vue de citoyen. Mais M. Hanna n'était pas rassuré pour autant. «Que serait-il arrivé si je travaillais pour une firme d'ingénierie qui a des contrats avec la Ville? C'est sûr que j'aurais perdu mon emploi.» Il y a un mot pour ça: intimidation.

«C'est une habitude chez M. Applebaum d'intimider les gens», dit M. Hanna. Chaque fois qu'un citoyen osait poser des questions sur le conflit d'intérêts pour le moins apparent entre le travail d'agent en immobilier de M. Applebaum et ses fonctions d'élu, l'ex-maire menaçait de le poursuivre.

M. Hanna a été si indigné par les accrocs à l'éthique et les histoires de corruption qu'il a décidé en 2009 de se joindre à l'équipe de Vision Montréal dans Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce pour s'attaquer à ces problèmes. Après avoir perdu ses élections, amer, il a laissé tomber la politique pour poursuivre son travail de professeur. «Tant que le système de corruption est en place, il n'y a pas d'espoir», dit-il.

Pour l'instant, son espoir est à la commission Charbonneau, à qui il a confié ses soupçons. Il dit aussi avoir accueilli sans grande surprise, mais avec grand plaisir la nouvelle de l'arrestation de M. Applebaum.

D'autres citoyens qui ont côtoyé M. Applebaum ont des sentiments plus mitigés. Alana Ronald, une citoyenne qui s'est battue en vain pour préserver la bibliothèque patrimoniale Fraser-Hickson dans Notre-Dame-de-Grâce, fait partie de ceux qui ont du mal à se réjouir. «Cet homme doit disparaître du service public. Mais cela n'effacera pas les dommages qu'il a causés. Nous ne serons pas compensés pour ce que nous avons perdu. Nous avons perdu l'une des plus anciennes bibliothèques du Canada. C'était vraiment l'âme de notre communauté. Nous avons aussi perdu la foi en notre rôle de citoyen et en un processus démocratique transparent.»

Quand M. Applebaum a été nommé maire par intérim en s'autoproclamant «monsieur Opérationnel», j'avais écrit une chronique sceptique racontant comment l'ex-maire avait agi de façon lamentable après que la direction de la santé publique eut classé «impropre à l'habitation» un immeuble tapissé de moisissures de Côte-des-Neiges. L'histoire, anecdotique en apparence, était en fait très révélatrice. Même si la santé d'enfants était mise en péril par la contamination fongique, l'arrondissement n'avait pas levé le petit doigt devant le propriétaire délinquant. Le problème n'était pas considéré comme urgent. M. Applebaum avait refusé mes demandes d'entrevue à ce sujet. Mais le lendemain, une fois l'histoire publiée dans La Presse, il a paru soudainement très choqué par cette histoire qui le laissait indifférent la veille. Devant les caméras, il s'est mis à agiter les bras tel un superhéros volant à la rescousse des enfants victimes de ce problème moisi.

Ce jour-là, Mme Ronald, inquiète, m'a dit: «Cet homme doit être surveillé. Il n'en a rien à cirer de cet enfant qui dort dans la moisissure. Son problème, c'est qu'il réfléchit comme un agent d'immeubles. Et il a un long passé antidémocratique.»

À regret, hier, j'ai dû dire à cette dame qui pleure encore sa bibliothèque perdue qu'elle avait sans doute vu juste.