L'histoire se déroule sur un terrain de soccer juste avant un tournoi. Un arbitre dit à un joueur sikh de 15 ans: «Tu ne peux jouer avec ton turban. C'est interdit.» Les entraîneurs interviennent. «C'est une question religieuse. Vous ne pouvez lui demander de l'enlever!»

L'arbitre, intransigeant, répond par une phrase qui suinte l'intolérance: «Il n'a qu'à décider ce qui est le plus important: sa religion ou le match».

Ailleurs, sur d'autres terrains au cours de ce même tournoi, d'autres joueurs sikhs sont exclus par des arbitres qui invoquent aussi le règlement. Par solidarité avec les exclus, des équipes entières décident de boycotter le tournoi. Six matchs doivent être annulés.

Cette histoire s'est passée en 2005 en Colombie-Britannique, une province où habite près de la moitié de la population sikhe du pays. Décision discriminatoire et atteinte à la liberté religieuse, ont dit les uns. Décision dictée par le règlement de la Fédération internationale de football association, ont répondu les autres. Bref, le même débat qui a lieu ici a déjà été soulevé là-bas il y a quelques années. En a-t-on conclu pour autant, comme on l'a dit du Québec, que la Colombie-Britannique est une province xénophobe qui a atteint des sommets d'intolérance? Non.

«Ils peuvent jouer dans leur cour.» Comme bien de gens, j'ai bondi en entendant ces mots ahurissants de Brigitte Frot, la directrice générale de la Fédération de soccer du Québec (FSQ). Elle expliquait ce qu'il reste à faire aux enfants sikhs qui voudraient continuer à jouer au soccer avec leur turban. Une question de sécurité, plaidait-elle, en avouant du même souffle que la FSQ n'avait aucune preuve que le turban pouvait compromettre la sécurité de qui que ce soit. Autant dire clairement qu'il s'agit d'un argument bidon pour justifier une décision motivée par des raisons inavouables.

J'aurais aimé que Mme Frot s'explique, qu'elle nous rassure, qu'elle nous dise que ce n'est pas ce qu'elle voulait dire... Hier, la FSQ, après avoir annoncé qu'elle maintenait sa décision d'interdire le turban, a plutôt choisi le silence. C'était après que la première ministre, qui s'est tue quand il aurait fallu parler et a parlé quand il aurait été préférable de se taire, eut attrapé le turban au vol pour dire qu'elle soutenait la FSQ dans le combat l'opposant à la Fédération canadienne de soccer. De la récupération politique de bas étage qui ne fait qu'envenimer le débat.

Cela dit, je bondis tout autant quand j'en vois certains conclure hâtivement que toute cette affaire ne révèle au fond qu'une xénophobie propre au Québec. Lu dans le Globe and Mail, par exemple, un commentaire de Supriya Dwivedi, animatrice de CJAD à Montréal, portant le titre: «Avec le règlement sur le turban, le Québec a atteint un pic historique d'intolérance».

Dans ce texte, qui était le plus populaire dans la section commentaire du site internet du quotidien, l'auteure y décrit un Québec qui serait plus que jamais xénophobe et obsédé par la «pureté linguistique et culturelle». Hé! Ho! N'en rajoutez plus, le turban est plein. Un pogrom, avec ça?

Même si la récupération politique du «turbangate» m'irrite, même s'il y aura toujours des xénophobes pour prier la fille d'immigrants que je suis de retourner dans «son pays», il ne faudrait quand même pas jeter le Québec avec l'eau du bain. Reconnaissons que, sans être parfaite, malgré les dérapages de ce débat enturbanné, malgré le ridicule «pastagate» et ses dérivés, cette société, dans la rue, à l'école, au quotidien, réussit plutôt bien là où d'autres ont échoué.

Quel genre de «société distincte» sommes-nous devenus? demande Supriya Dwivedi, en soulignant que le Québec est la seule province à dénoncer explicitement la politique fédérale du multiculturalisme.

Il me semble qu'il y a une grande confusion autour de cette fameuse notion de «multiculturalisme». Ce n'est pas un antonyme du mot «intolérance». Je suis moi-même contre le multiculturalisme. Ce qui ne veut pas dire que je sois contre la diversité culturelle ou le port du turban sur le terrain de soccer.

Le multiculturalisme s'appuie sur l'idée qu'il n'y a pas de culture majoritaire au Canada. Selon ce modèle, les Québécois d'origine canadienne-française ne forment qu'un groupe ethnique parmi tous les autres. On comprendra que ce n'est pas très rassurant pour une société qui a un statut francophone minoritaire en Amérique du Nord. Ce n'est pas plus rassurant non plus, à mon sens, pour les immigrants. Car comme l'a démontré brillamment l'auteur Neil Bissoondath, grand pourfendeur du multiculturalisme, cette politique, sous couvert d'acceptation, cantonne les communautés ethniques dans une culture figée dans le temps qui les marginalise davantage. Or, l'expérience migratoire en est essentiellement une de renouveau. Ma culture n'est pas la même que celle de mes parents. Celle de mes parents n'est plus celle qu'elle était quand ils ont immigré il y a presque un demi-siècle. Celle de mes enfants sera tout aussi mouvante.

À mon sens, le Québec n'est pas plus xénophobe que d'autres provinces. Mais il est certainement plus antireligieux pour des raisons historiques qui lui sont propres. Le Québec n'est pas plus frileux qu'un autre. Mais avec une population francophone minoritaire en Amérique du Nord, il est certainement plus inquiet pour son avenir culturel.

Cette femme qui dit bêtement «qu'ils jouent dans leur cour» n'est pas le Québec. Pas plus que cet homme qui dit «qu'ils choisissent entre leur religion et le soccer» n'est la Colombie-Britannique.

La voie de l'interculturalisme, empruntée à tâtons par le Québec, me semble plus porteuse que celle du multiculturalisme. C'est une façon de veiller aux intérêts légitimes de la majorité tout en se souciant aussi des intérêts des minorités. Une recherche d'équilibre délicate, complexe et nécessaire. Ces dernières années, cette recherche a connu des ratés. Il s'est dit bien des niaiseries. Il y a eu Hérouxville et tout le reste. Mais je parie que pour chaque niaiserie dite au grand jour, il y a mille exemples de vivre-ensemble au quotidien dont on ne parle pas. L'essentiel est là.