«Tu es rom? Tu vis dans une caravane? Est-ce que tes parents volent? Es-tu comme Esmeralda?»

Chaque fois qu'elle dit qu'elle est rom, Dafina doit répondre à ce genre de questions. «J'en ai pour au moins 25 minutes d'explications!», me dit-elle en riant.

Dafina a 24 ans. Née à Montréal. Bachelière en sciences politiques, très intéressée par tout ce qui concerne les droits de l'homme. Des parents originaires de la Serbie. Mère psychothérapeute. Père commerçant. Une famille éparpillée en Europe. Un regard indigné quand elle parle du sort réservé à la minorité rom.

Lorsque cette jeune femme engagée raconte sa propre vie sans voleurs ni caravanes, on lui dit parfois qu'elle n'est pas une «vraie Rom». Et pourtant...

Dafina vient tout juste de fonder l'organisme Romanipe, ce qui signifie «identité rom» (1). L'organisme, dont le lancement officiel avait lieu mardi soir, veut créer un espace pour combattre la discrimination et la violence subies par la population rom.

Pourquoi mettre sur pied un tel organisme à Montréal? Parce que si les Roms ne sont pas opprimés ici, il y a une certaine ignorance à leur sujet qui mène à la discrimination, explique Dafina. «En tant que Rom, je trouve très, très choquante la manière dont ces gens sont traités en 2013. Je trouve cela très choquant que la société accepte ces discriminations. Au Canada, cela se voit moins. Mais en Europe, c'est très accepté. Non seulement par la population en général, mais aussi par les gouvernements.»

Les Roms sont 12 millions dans le monde, rappelle-t-elle. Ils sont 1 à 2 millions en Amérique. On dit qu'il s'agit de la plus grande minorité du monde. Un peuple incompris dont les malheurs n'ont pas cessé après le Porrajmos (mot rom pour «dévoration») de la Seconde Guerre mondiale, où des centaines de milliers de Roms ont été assassinés par les nazis.

Quand elle voit le ministre de l'Immigration Jason Kenney laisser entendre que les Roms d'Europe de l'Est sont de «faux réfugiés», Dafina fulmine. À ses yeux, les nouvelles politiques restrictives du gouvernement Harper, qui freinent l'arrivée de demandeurs d'asile roms, sont aussi discriminatoires qu'injustes.

La grave discrimination et les attaques de militants d'extrême droite dont sont victimes les Roms en Europe sont bien documentées (2). En Hongrie, entre 2008 et 2012, neuf Roms, dont deux enfants, ont été tués à la suite d'agressions racistes, selon le Centre européen des droits des Roms. Il y a eu durant la même période une cinquantaine d'attaques contre des familles roms. Les menaces sont sérieuses. «Je suis allée en Hongrie en octobre dernier, raconte Dafina. J'ai vu un village entier brûlé...»

Régulièrement, on assiste à des marches de partis néo-fascistes dans des villages hongrois. «Des marches presque militaires, avec des drapeaux nazis et des gens qui font des signes de Hitler pour terroriser les familles roms», dit-elle. À l'école, les enfants roms sont séparés des non-Roms dans les écoles.

Il y a deux ans, en Roumanie, un maire, avec l'appui de ses citoyens, a fait construire devant des HLM un mur pour isoler la population rom «indésirable». En Italie, les Roms n'ont pas le droit d'être des citoyens. On leur donne un toit temporaire, le plus souvent dans des dépotoirs. «Et après, ils disent: les Roms sont sales...»

«Ce qui est le plus choquant pour moi, c'est que c'est accepté par les gouvernements. Par exemple, en Hongrie, il y a des partis néo-fascistes qui sont en train de s'imposer. Ce sont des partis qui réclament presque l'extermination, ou à tout le moins l'écartement de la population rom.»

La rhétorique de l'extrême droite en Hongrie consiste à dire: «Éliminons le crime, donc éliminons les Roms.» Après avoir condamné les Roms à un état de pauvreté et d'exclusion, on dit: «Les Roms volent. Les Roms ne travaillent pas. Les Roms mendient... Ils n'ont pas les mêmes droits que les autres, car ce ne sont pas des citoyens qui contribuent à l'économie.» «Ce n'est pas exactement vrai, réplique Dafina. Et même si c'était vrai, je ne trouve pas que c'est une raison de prôner la discrimination et l'extermination d'un peuple!»

Dafina ne dit pas que tous les Roms sont des citoyens angéliques. «Est-ce qu'il y a des gens qui volent? Oui! Est-ce qu'il y a des gens qui commettent des crimes? Oui!» C'est comme au sein de n'importe quelle autre population. De là à en faire un trait culturel... «Les gens pensent que c'est une valeur qui est inculquée dans la culture rom. C'est complètement faux. Rien dans la culture rom ne dit: voler, c'est bien! Plein de gens volent... Mais quand c'est des Roms, on dit: «Les Roms sont des voleurs!» « Des stéréotypes si tenaces que bien des Roms ordinaires évitent de dévoiler leurs origines.

Au lancement de Romanipe, mardi soir, Dafina a eu la bonne idée de présenter des oeuvres du projet Romarising du photographe Chad Evans Wyatt (https://www.romarising.com). On y voit des photos noir et blanc de Roms ordinaires vivant ici et ailleurs. Des gens talentueux et courageux qui mettent à mal les stéréotypes. Un ingénieur, une rédactrice en chef, un juge, une informaticienne, un médecin... Loin des clichés et du folklore. Une façon de montrer le champ des possibles lorsqu'on donne à des gens, qui ne demandent que ça, la chance de devenir d'extraordinaires gens ordinaires.

(1) Pour plus d'information sur l'organisme Romanipe: https://romanipe.wordpress.com (2) Lire à ce sujet le dernier rapport d'Amnistie internationale. Ici et maintenant: droits humains pour les Roms

Photo Chad Evans Wyatt