«Vous allez au Texas pour faire un reportage sur quoi? a demandé le douanier américain joufflu à qui je venais de dire que j'étais journaliste.

- Sur la peine de mort.»

Son regard s'est illuminé. «Oh! J'aime la peine de mort! Vous n'avez pas ça au Canada, n'est-ce pas? Vous devriez...»

J'ai souri en attendant qu'il me rende mon passeport. «Merci, monsieur.»

C'est quand même ironique. Alors qu'une majorité de Canadiens pensent comme le douanier texan, la peine de mort recule comme jamais aux États-Unis. Le 2 mai, le Maryland est devenu le 18e État à l'abolir. Onze autres États y ont renoncé dans les faits. Même au Texas, champion occidental de la «justice» qui tue, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer l'abolition de la peine capitale. Des gens autrefois pro-peine de mort changent d'avis. Des proches de victimes d'actes criminels demandent que l'on ne tue pas en leur nom. Des jurys, ébranlés par les nombreux cas d'erreurs judiciaires, hésitent de plus en plus.

Inefficace, injuste et barbare, la peine de mort n'a rien pour elle. Après des années de déclin, on entrevoit enfin sa mort prochaine aux États-Unis. Pas tant pour des raisons morales, dit-on, que pour des raisons économiques. Car contrairement à ce que veut la croyance populaire, la peine de mort, en plus de n'avoir aucun effet dissuasif, coûte beaucoup plus cher que la prison à vie.

Dans le cadre d'une série de reportages que vous pourrez lire et voir dès demain, ma collègue Ninon Pednault et moi sommes allées au Texas, au coeur du royaume américain de la peine de mort. Le but? Traquer les signes de déclin, au moment où le Texas s'apprête à exécuter son 500e condamné depuis 1976.

On connaît les raisons pour lesquelles des gens appuient la peine capitale. On connaît moins l'histoire de ceux qui ont changé d'avis ou qui font changer d'avis l'Amérique.

Dans la prison à sécurité maximale de Livingston, au Texas, nous avons rencontré un condamné à mort qui clame son innocence depuis près de 20 ans. Sur le banc d'une chapelle à Kerrville, nous avons écouté un aumônier de prison à la mémoire torturée. À Dallas, nous avons été soufflées par le courage d'un survivant qui a voulu sauver la vie de son assassin...

Plus que jamais, au moment où, chez nous, tant de gens envient à tort le système de peine de mort américain, il nous semblait important de raconter ces histoires bouleversantes, parfois horrifiantes.

«Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui, maman?

-Je suis allée dans le couloir de la mort.»

Ça fait drôle d'avoir un rendez-vous dans le couloir de la mort. J'avais déposé l'hiver dernier une demande d'entrevue avec un condamné à mort texan sans vraiment y croire. On m'avait dit que les autorisations étaient accordées au compte-gouttes.

Et puis, un midi, après un tas de démarches suivies d'un long silence que j'avais interprété comme un refus, j'ai reçu une confirmation d'entrevue par courriel, un peu comme on reçoit la confirmation d'un rendez-vous chez le dentiste. Aussi banal que ça.

Évidemment, on n'entre pas dans une prison texane à sécurité maximale comme on entre dans un moulin. Dans le couloir de la mort, la liste d'interdits pour les visiteurs est interminable. Celle des détenus, n'en parlons pas. Il a bien sûr fallu montrer patte blanche, lettre officielle, passeport et numéro d'assurance sociale. Il a fallu indiquer au stylo près ce que nous allions apporter et s'engager à respecter les règlements à la lettre, sous peine d'expulsion.

Pas de cellulaire. Pas de sac à main. Pas de vêtements transparents. Pas de bras dénudés. Pas de jupes ou de robes qui oseraient arriver «plus de trois pouces au-dessus du milieu du genou». Pas de vêtements blancs. Le blanc est réservé aux prisonniers. Il vaut mieux éviter toute confusion...

Bref, Ninon et moi nous sommes présentées aux portes de la prison habillées comme des veuves italiennes. Après la fouille, le responsable des relations publiques de la prison, réputée pour être une des pires des États-Unis, est venu à notre rencontre pour nous conduire au parloir. Un gars souriant et courtois.

Comment devient-on porte-parole du couloir de la mort? «J'étais journaliste avant...» Aux États-Unis (où le taux d'incarcération est le plus élevé du monde), il y a plus de travail dans l'industrie des prisons que dans l'univers des médias.

Un rendez-vous dans le couloir de la mort, ça fait drôle, disais-je. Mais ce qui doit faire encore plus drôle, c'est d'avoir un rendez-vous avec la mort. De savoir que tel jour, à telle heure précise, la mort frappera. Et d'apprendre le jour même, quelques minutes avant ce rendez-vous funeste, que, finalement, non, ce ne sera pas ce jour-là.

C'est exactement le sort réservé à Henry «Hank» Skinner, le condamné à mort que j'ai interviewé et dont vous pourrez lire et voir l'histoire demain. Voilà près de 20 ans que cet homme est dans le couloir de la mort pour un triple meurtre. Voilà près de 20 ans qu'il clame son innocence. Trois fois, on lui a indiqué la date de sa mort. Trois fois, son exécution a été suspendue in extremis. Une fois, il l'a su seulement 23 minutes avant l'heure prévue pour sa mise à mort. «Je ne sais même pas comment il se fait que je ne sois pas devenu fou», m'a-t-il dit, de sa cage du parloir. J'avoue ne pas comprendre non plus.

On dit que les condamnés à mort meurent mille fois avant de mourir vraiment. À bien y penser, «drôle» n'est pas le bon mot. «Torture» serait plus juste.