J'ai reçu cette semaine un courriel d'une dame qui s'inquiétait d'une prétendue «invasion de musulmans à Rimouski». Ça m'a fait rire, mais au fond, ce n'est pas drôle. Le mythe de l'invasion musulmane en est un malheureusement trop populaire en Occident. À force d'être répétées, des faussetés sont prises pour des faits.

Le courriel en question (ou plutôt pourriel), qui circule depuis au moins deux ans, colporte une légende urbaine. Il indique que Rimouski est passé de 4 familles musulmanes en 2004 à plus de 1000 familles «de ce genre» en 2011. «Ça fait peur», dit le message qui indique que les gens de «ce genre» ont même obtenu de la Ville une nouvelle rue «au nom de leur grand prêtre islamique».

Tout ça est faux, évidemment. Combien de musulmans à Rimouski en 2011? On peut presque tous les nommer. Ils sont 130 (on les salue), soit exactement 0,3% de la population rimouskoise, indique la toute nouvelle enquête de Statistique Canada, rendue publique hier. On conviendra que ce n'est pas tout à fait ce qu'on appelle une invasion.

Le maire de Rimouski - c'est tout à son honneur - a déjà dénoncé haut et fort ce pourriel aussi stupide que tenace qui ne fait que nourrir l'intolérance. Il a précisé que la rue au nom d'un prétendu «grand prêtre islamique» (selon le pourriel) est en fait une rue à la mémoire de Mohammed El-Sabh, un océanographe réputé d'origine égyptienne, spécialiste des tsunamis, qui a marqué l'histoire scientifique de Rimouski où il s'était établi en 1972. Répandre de telles faussetés à son sujet n'est qu'injure à sa mémoire, a-t-il dit.

Mais qu'importe les faits... Ces faussetés circulent encore et certains y croient. La légende urbaine de Rimouski n'est qu'un tout petit symptôme d'un phénomène rampant beaucoup plus inquiétant. Hier, les données dévoilées par Statistique Canada n'ont d'ailleurs pas tardé à être récupérées par des théoriciens des invasions barbares.

Il ne s'agit pas ici de nier l'évidence. La population musulmane connaît une forte croissance au pays, c'est un fait. Au Québec, cette population a plus que doublé, c'est un fait. Mais de là à parler d'invasion, il y a un pas (et même peut-être deux, je dirais, à Rimouski).

En 2001, 1,5% de la population québécoise se disait musulmane. En 2011, la proportion est montée à 3,1%. Hors de la région de Montréal, ceux qui crient à l'invasion pourront toujours dire que la population musulmane a presque triplé en dix ans, en passant de 8000 à 22 000 personnes. Le fait est que même après avoir triplé, cette population ne constitue que 0,6% de la population hors Montréal et ne demande, pour l'immense majorité, qu'à vivre en paix.

Dans son remarquable essai The Myth of the Muslim Tide (Alfred A. Knopf, 2012), le journaliste Doug Saunders rappelle que les théoriciens des invasions barbares n'ont rien inventé. Ils ne font que recycler de vieux mythes qui ont surgi dans l'histoire chaque fois qu'une nouvelle vague d'immigrants débarquaient en Amérique. Hier, on craignait les catholiques ou les juifs. Aujourd'hui, ce sont les musulmans.

Dès la fin du XIXe siècle, chaque fois qu'un nouveau groupe arrivait (Irlandais, Italiens ou juifs d'Europe de l'Est...), on reprenait les mêmes discours sur la menace de l'étranger. On disait que ces gens étaient trop éloignés de notre civilisation pour s'y fondre. Au tournant des années 50, aux États-Unis, une théorie fort répandue voulait que des «dangereux» catholiques prennent les commandes de l'Amérique.

Après l'élection en 1961 d'un président catholique - John F. Kennedy -, l'hystérie anticatholique s'est calmée. Et on a réalisé que les catholiques américains n'étaient peut-être finalement que... des Américains. Un jour, réalisera-t-on aussi que les musulmans québécois ne sont peut-être finalement que des Québécois?