Un «scandale imaginaire». C'est ainsi que le cinéaste Xavier Dolan qualifiait hier la tempête absurde créée par Françoise Laborde, du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) en France, qui souhaite préserver la jeunesse de la violence du vidéoclip College Boy d'Indochine.

Dans une lettre assassine publiée hier dans le Huffington Post Québec, le cinéaste réplique de façon brillante à la présidente du CSA, qui est l'équivalent français du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Il aurait tout aussi bien pu s'adresser à MusiquePlus, qui a choisi le camp de la censure.

Le vidéoclip réalisé par Dolan n'est ni un conte à l'eau de rose ni un de ces clips sexistes qui célèbrent la femme-objet sous toutes ses coutures. Cela peut sembler déroutant pour certains. Car voilà un clip qui aborde la question de l'intimidation de façon poignante et percutante. Il raconte l'histoire d'un adolescent ordinaire pris pour cible par une meute à l'école. On le tabasse, on l'humilie. On assiste à une escalade de la violence. Cela se termine par une insoutenable scène de crucifixion et d'exécution devant des témoins complices aux yeux bandés.

Le clip ne semble pas avoir été apprécié par Françoise Laborde (dont on a déjà entendu parler il y a quelque temps, car elle a cosigné avec Denise Bombardier le livre Ne vous taisez plus, qui fait l'objet d'allégations de plagiat). Elle a accusé Dolan d'exploiter la violence et de l'esthétiser. «On ne dénonce pas la violence en montrant de la violence», a-t-elle déclaré.

Il n'est pas nécessaire de montrer un meurtre pour dénoncer le meurtre ou de montrer un viol pour dénoncer le viol. C'est vrai. Tout dépend du contexte. Tout dépend de la manière. Mais ici, il faut souligner d'abord et avant tout que nous sommes devant une oeuvre de fiction. L'oeuvre d'un cinéaste talentueux qui, loin d'exploiter la violence gratuite, propose un regard d'auteur sur une dure réalité.

C'est choquant, oui. C'est dérangeant, oui. Mais ça ne prend pas un doctorat en sémiologie pour comprendre que cette oeuvre n'est pas exactement une incitation à la crucifixion dans les cours d'école. La crucifixion apparaît comme une métaphore de la souffrance extrême vécue par ce jeune homme ordinaire, mis au ban par ses compagnons de classe. Elle met aussi en lumière de façon troublante l'aveuglement complice de tous ces gens qui gardent les yeux bandés devant l'intimidation.

C'est choquant, oui. C'est dérangeant, oui. Mais c'est la réalité même de l'intimidation qui est choquante et dérangeante.

En regardant le clip, j'ai tout de suite pensé à Damien, un jeune homme transgenre que j'ai rencontré dans le cadre d'un reportage. Un gars courageux, attachant, longtemps jugé coupable d'être différent. Damien a été intimidé, humilié, tabassé pendant toute sa jeunesse. On lui disait qu'il était laid, qu'il était un loser, qu'il n'était pas un vrai gars, qu'il n'était pas une vraie fille. Il avait une piètre estime de lui-même. Il avait des idées suicidaires. Les adultes faisaient mine de ne rien voir.

En écoutant Damien me raconter cette jeunesse en enfer, j'avais l'impression d'entendre le récit d'un réfugié qui a fui la guerre. Le parallèle est moins outrancier qu'il n'en a l'air. Certaines jeunes victimes d'intimidation à l'adolescence quittent l'école avec un syndrome post-traumatique, comme s'ils revenaient du front. Ils ont des flash-backs, font des cauchemars, sombrent dans la dépression. Ils vont à l'école comme on va à la guerre. Il arrive même que certains meurent au combat.

Dolan n'a malheureusement rien inventé. Il ne fait que braquer sa caméra sur une plaie devant laquelle on ferme trop souvent les yeux. Ce n'est pas son clip qui est choquant, c'est le phénomène universel qu'il illustre. En France, où le débat sur le mariage pour tous a déroulé le tapis rouge à des discours homophobes d'une violence inouïe, on peut dire que le clip College Boy ne pouvait mieux tomber. Il a le mérite de susciter un dialogue essentiel sur la violence, l'intimidation, le rejet de la différence. Parions comme Dolan que ce clip, allègrement partagé sur Facebook, est en ce sens mille fois plus efficace que toutes ces «brochures éducatives en papier glacé» et autres vidéos corporatives sur l'intimidation.

Pour le spectateur, c'est insoutenable pendant six minutes. Mais imaginez donc un instant ce que ça peut être pour des jeunes qui endurent ce type de violence tous les jours. Combien n'y survivent pas? Combien de suicides liés à l'intimidation chaque année? Combien de gens qui ferment les yeux comme si c'était banal, normal?

Dolan a raison. On a créé un scandale imaginaire autour de son clip. Un scandale imaginaire dont le seul mérite est de montrer par l'absurde que le véritable scandale est ailleurs. Il est dans la souffrance de ces jeunes victimes d'intimidation. Il est dans le regard de ceux qui savent et ne disent rien.