À quoi ressemble le quotidien d'une journaliste indépendante en République démocratique du Congo?

Solange m'a répondu par un sourire. Un sourire à la fois triste et humble. «Tu taperas mon nom dans Google», a-t-elle dit, une énigme dans le regard.

J'ai rencontré Solange Lusiku dans le cadre du Forum mondial des femmes francophones, qui avait lieu à Paris, il y a quelques semaines. Avant même de taper son nom dans Google, juste en discutant avec elle, j'ai compris que j'avais devant moi un esprit libre et courageux.

Solange a 41 ans. Elle est mère de six enfants et éditrice du périodique Le Souverain, seul journal indépendant, publié avec beaucoup de courage et peu de moyens, à Bukavu, au Sud-Kivu. Elle est aussi présidente de l'Union nationale de la presse du Congo dans sa région. Elle se bat pour la démocratie et pour les droits des femmes, convaincue que l'un ne va pas sans l'autre.

Son journalisme têtu et sans complaisance ne plaît pas à tous. Ce n'est pas le but. Solange ne veut ni plaire ni déplaire. Elle ne veut pas jouer aux héroïnes en boubou. Elle veut juste faire son travail, en toute liberté de conscience, persuadée qu'il n'est pas de progrès possible sans libre circulation des idées.

Solange sait, comme le dit l'adage, que tout pouvoir corrompt, et que tout pouvoir absolu corrompt absolument. D'où la nécessité d'une presse libre qui peut agir comme contre-pouvoir.

Solange sait trop bien aussi que le contre-pouvoir n'est pas de tout repos. Il y a quelques mois, elle a reçu des menaces de mort anonymes. «Si tu continues à écrire, tu écriras bientôt sous une pierre.»

Les menaces étaient sérieuses. La sécurité de la journaliste était compromise. Il a fallu que son mari et que ses enfants se mettent à l'abri. Il a fallu qu'elle vive elle-même dans la clandestinité. Ses collègues ont aussi reçu des menaces.

Depuis 10 ans, près d'une dizaine de journalistes congolais ont été tués dans des conditions qui n'ont jamais été élucidées, rappelait hier Journalistes en danger. «Une plume brisée est un coup contre la démocratie», dit le slogan de cet organisme indépendant, créé par des journalistes de RDC, voué à la défense de la liberté de la presse.

On sait que, depuis 1996, le conflit qui déchire la RDC a fait 6 millions de morts, soit plus de morts que durant tout autre conflit depuis la Seconde Guerre mondiale. Dans l'est du pays, des groupes armés luttent entre eux et contre les Forces armées de la RDC pour s'emparer du pouvoir et contrôler les ressources naturelles. Torture, violences sexuelles, disparitions forcées, enrôlement d'enfants soldats, exécutions extrajudiciaires... Tout ça fait malheureusement partie du quotidien.

«Nous, dans l'est du Congo, nous avons une espérance de vie de 24 heures renouvelables, dit Solange. Se réveiller vivant le matin, c'est un miracle.»

Solange, à qui l'ambassade des États-Unis en RDC a récemment décerné le prix Femme de courage, ne compte pas se taire pour autant. «Si je meurs demain pour avoir dénoncé quelque chose, au moins, je vais mourir la tête haute, dit-elle. Malgré la guerre, la vie continue. Nous allons continuer à nous battre.»

La liberté de presse, oxygène de la démocratie, recule dans le monde. Elle recule en RDC, où on constate des efforts inquiétants pour réduire au silence ceux qui dérangent. Elle recule au Burundi, où une nouvelle loi sur la presse menace gravement la liberté d'expression. Elle recule au Mexique, pays le plus dangereux du continent pour les journalistes avec 86 tués et 18 disparus depuis 10 ans. Ce ne sont que trois exemples. Il y en a malheureusement une centaine d'autres.

Selon Freedom House, la proportion de la population mondiale jouissant aujourd'hui d'une presse libre (moins de 14%) est la plus faible que l'on ait connue depuis plus d'une décennie. Raison de plus, en cette Journée mondiale de la liberté de presse, de saluer le courage de Solange et de tous les journalistes têtus qui, malgré les menaces et l'intimidation, refusent de se taire.