Faudrait-il réformer le programme d'histoire au secondaire pour y inclure la douloureuse histoire des pensionnats amérindiens?

C'est un des combats de Viviane Michel, présidente de Femmes autochtones du Québec, qui a lancé une pétition en appui à la recommandation en ce sens de la Commission de vérité et réconciliation. Un combat qui est essentiel.

Viviane Michel a 50 ans. Une femme courageuse à la voix douce qui a grandi dans la communauté de Maliotenam, sur une falaise d'où on voit la mer. Sa mère est innue, ce qui veut dire «être humain» dans sa langue. Son père, qu'elle n'a pas connu avant l'âge adulte, est québécois.

Enfant, Viviane Michel se rappelle ce premier sentiment de honte quand elle a vu, dans son livre d'histoire bleu ciel, des Iroquois manger des missionnaires. Ça ne donne plus vraiment le goût d'être autochtone, raconte-t-elle en riant.

Aujourd'hui, les livres ne présentent plus les autochtones comme des «sauvages». Mais ils occultent l'essentiel de leur histoire. Pas un mot sur les enfants arrachés par milliers à leur famille afin de les assimiler à la société canadienne. Pas un mot sur les agressions sexuelles dont ils ont été victimes dans les pensionnats. Pas un mot sur toutes ces enfances volées, ces vies déracinées.

Or, ce pan sombre de l'histoire canadienne n'est pas un détail. La politique d'assimilation massive a eu de graves conséquences. On ne dépossède pas un peuple sans que cela ne laisse de traces. «On pète des scores en problèmes sociaux, souligne Viviane Michel. Mais il faut comprendre qu'il y a une raison.»

Intervenante sociale, Viviane Michel a travaillé auprès d'ex-pensionnaires. Elle a aussi travaillé auprès de femmes autochtones victimes de violence. Elle-même victime d'agressions sexuelles pendant l'enfance et l'adolescence, elle sait trop bien que les problèmes causés par les pensionnats n'ont pas cessé le jour où ils ont fermé leurs portes. «Je ne suis pas une ex-pensionnaire. Mais je suis le résultat des pensionnats», explique-t-elle. Il y a ce qu'on appelle une «retransmission intergénérationnelle» des problèmes. «Ceux qui ont abusé de moi ont fait les pensionnats.»

Viviane Michel a mis des années à guérir de ses blessures. Il lui a fallu du temps aussi pour être capable d'en parler. Pas évident de dénoncer dans une communauté où tout se sait. Cela prend de la force et du courage. Aujourd'hui, elle marche la tête haute et dit «bravo» à tous ceux qui refusent de se taire.

Le traumatisme n'est pas uniquement celui des ex-pensionnaires, rappelle-t-elle. Toute une génération en subit encore les contrecoups. «Il n'y a pas eu que les agressions sexuelles et physiques, mais aussi la perte de la langue, la perte de la culture, la coupure avec les liens familiaux. Et ce n'est pas juste une personne qui a été touchée, mais l'ensemble d'une communauté...»

Cette histoire, que la majorité d'entre nous ignore, doit être racontée. Non pas pour victimiser toute une communauté. Non pas pour traumatiser ou culpabiliser qui que ce soit. Mais d'abord et avant tout pour comprendre, plaide Viviane Michel. Comprendre les raisons derrière la crise d'identité, la perte de langue, la perte de culture, les problèmes sociaux. Reconnaître qu'il y a bel et bien eu un ethnocide visant à faire disparaître ces «sauvages» qui mangeaient des missionnaires dans les livres d'histoire.

Certains trouvent le sujet trop litigieux ou trop délicat pour qu'il soit abordé à l'école secondaire. «On ne parle pas non plus des orphelins de Duplessis. Ce n'est pas évident de parler d'agressions sexuelles à des adolescents», dit par exemple Raymond Bédard, de la Société des professeurs d'histoire du Québec, cité par ma collègue Isabelle Hachey (à lire dans La Presse ").

Ce n'est peut-être pas évident, mais c'est nécessaire. Pour Viviane Michel, qui a toujours prôné la non-violence et la réconciliation, le silence est à proscrire. «Plus on en parle, plus on sensibilise les gens. Si on n'en parle pas, on est en train de banaliser ce qui s'est passé. Pourquoi devrait-on cacher ce qui s'est vraiment passé?»

Elle a parfaitement raison. Qu'il s'agisse des orphelins de Duplessis ou des victimes des pensionnats autochtones, on a toujours tort d'occulter les pans les plus sombres de l'histoire.