Il faut «dédramatiser» le féminisme. Ce n'est pas moi qui le dis, mais la première ministre Pauline Marois que j'ai rencontrée à l'occasion de la publication de notre palmarès des femmes d'influence du Québec.

Le féminisme a donc si mauvaise réputation qu'il convient de le présenter avec un sceau d'acceptabilité? C'est ce que croit Pauline Marois. Et elle n'a pas tort. Depuis quelques années, on observe même une montée de l'antiféminisme tant au Québec qu'ailleurs en Occident.

La première ministre n'hésite pas à se dire féministe elle-même. Mais elle constate que «l'étiquette féministe n'est pas nécessairement bien perçue par les hommes et par les jeunes femmes dans certains cas».

À celles (et ceux) qui voient d'un mauvais oeil le féminisme, Pauline Marois aime donner cet exemple, toujours le même, qui, selon ses mots, permet de «dédramatiser» le concept. «Imaginez que vous avez deux enfants, un jumeau et une jumelle. Ils ont fait les mêmes études. Et votre fille va gagner 0,70 $ l'heure pendant que votre fils va gagner 1 $ l'heure. Trouvez-vous ça juste? Non!»

«Être féministe, c'est tout simplement ça: vouloir que les deux jumeaux, compte tenu de leurs compétences, aient le même revenu.»

Pauline Marois se réjouit de voir qu'une nouvelle génération, héritière des combats féministes, a l'impression que le monde lui appartient. «Dans le fond, ces jeunes femmes ont le sentiment que tout est réglé, constate la première ministre. J'aime ça parce que ça leur donne une assurance que nous, on n'avait pas. C'est rassurant pour la suite des choses.»

Mais il ne faudrait pas pour autant se raconter trop d'histoires, avertit du même souffle la première ministre. «On ne peut pas nier les faits.»

Les faits nous disent que, malgré les avancées, l'égalité homme-femme n'est pas acquise. Les femmes sont encore sous-représentées dans les milieux du pouvoir. La conciliation travail-famille reste le plus souvent un fardeau féminin. Et puis, la pauvreté. Et puis, la violence. Et puis, les stéréotypes. Et puis, le sexisme qui a la tête dure.

À la question «Êtes-vous féministe?» que j'ai posée à plusieurs jeunes femmes rencontrées lors de la préparation de notre dossier du 8 mars, il était amusant d'entendre les réponses. Un «mais» suivait souvent la sortie du placard féministe. Féministe, mais moderne, a dit l'une. Féministe, mais pas pratiquante, a dit une autre. Pas féministe... jusqu'au jour où j'ai eu des enfants, a répondu une autre.

Si vous voulez savoir ce qui pousse de nos jours des jeunes à se dire féministes, allez jeter un coup d'oeil à la campagne «Who Needs Feminism?». Cette campagne d'éducation populaire a été lancée au printemps dernier par 16 étudiantes de l'Université Duke, en Caroline-du-Nord, après qu'elles eurent constaté à quel point le féminisme était mal perçu. En classe, dans le cadre d'un cours d'histoire portant sur la place des femmes dans la sphère publique, ces étudiantes pouvaient discuter tout aussi bien de harcèlement sexuel sur le campus que de conciliation travail-famille. Mais quand elles tentaient de poursuivre la discussion hors de leur cours, elles étaient souvent rabrouées par leurs pairs. On les traitait de féministes antihommes. On les accusait de s'accrocher à une idéologie radicale vengeresse ou inutile.

L'idée de la campagne «Who Needs Feminism?» est ainsi née d'une volonté de dissiper les malentendus entourant le féminisme. De jeunes femmes et de jeunes hommes ont été invités à être photographiés, portant fièrement une pancarte sur laquelle ils avaient écrit la raison pour laquelle ils ont besoin du féminisme. Les photos ont été publiées sur le web. La campagne est rapidement devenue virale. Des milliers de jeunes de partout dans le monde y ont contribué et y contribuent toujours. L'automne dernier, des étudiants de McGill y ont participé.

Les messages qui défilent se lisent comme le manifeste proégalité d'une nouvelle génération. «J'ai besoin du féminisme parce que dire non ne fait pas de moi une prude et dire oui ne fait pas de moi une pute.»

«Parce que j'en ai assez qu'on me jette le blâme pour avoir été violée.»

«Parce qu'on ne demande à aucun de mes amis gars comment ils vont faire pour avoir à la fois une carrière active et des enfants - mais on me le demande à moi.»

«Parce que je veux être un papa à la maison.»

Il n'y a pas qu'un seul et unique féminisme. Il y a des féminismes qui prennent toutes sortes de formes et ne s'entendent pas toujours entre eux. En lisant tous ces cris du coeur, je me dis que, quelle que soit la forme choisie, pour peu que l'on croie en l'égalité, la question n'est pas tant de savoir qui a besoin du féminisme, mais qui peut s'en passer.

1. Quand l'antiféminisme cible les féministes, Francis Dupuis-Déri. L'R des centres de femmes du Québec et UQAM, 2013.

2. whoneedsfeminism.tumblr.com

3. wnfmcgill.tumblr.com