Quand Lise Payette l'a embauchée comme chef de cabinet en 1979, Pauline Marois lui a dit: «Écoutez, Mme Payette, moi, je ne suis pas féministe...»

La première ministre rit quand je lui rappelle cette anecdote qui date de l'époque où Lise Payette était ministre d'État à la Condition féminine. Elle se souvient de la réponse de sa patronne. Pas féministe, la jeune Pauline? «Pas grave! Avec moi, c'est une question de semaines avant que tu le deviennes!»

De fait...

J'ai causé féminisme avec la première ministre à l'occasion de la publication du palmarès des femmes d'influence que ma collègue Nathalie Collard et moi vous présentons aujourd'hui. Dans le studio de photo de La Presse où nous l'avons reçue, Pauline Marois avait l'assurance tranquille de celle à qui le pouvoir sied tout naturellement. Robe et escarpins noirs, veston violet, regard confiant, elle s'est assise bien droite sur son fauteuil, sous le regard bienveillant de son garde du corps et de son attachée de presse.

Pauline Marois ponctue ses réflexions sur la place des femmes dans la société d'un rire de survivante - un titre qu'elle revendique. «Oui, je suis une survivante!», dit la première ministre qui sait trop bien à quel point on peut être dur avec les femmes en politique.

Être féministe, c'est essentiellement vouloir l'égalité homme-femme, rappelle-t-elle. C'est de s'assurer que les femmes prennent leur place à côté des hommes, avec les hommes. «Pas pour les dominer, je n'ai jamais pensé ça. J'ai toujours pensé qu'on devait travailler de façon égalitaire.»

Mais à l'heure où le Québec est gouverné par une femme, le féminisme a-t-il toujours sa raison d'être? demandent certains (et même certaines). La Journée de la femme est-elle toujours pertinente? «Oui, oui, oui! dit Pauline Marois, sans l'ombre d'une hésitation. Ce ne serait pas pertinent si on était à parfaite égalité entre les hommes et les femmes. Si le revenu moyen des femmes était le même que celui des hommes. Si on pouvait accéder aux mêmes postes, alors que cela devrait se faire naturellement, sans qu'il y ait un effort peut-être supplémentaire qui soit fait...»

Bref, nous sommes à quelques «si» de l'égalité. Et puis, plus dramatique encore, il y a la violence, souligne la première ministre. «La violence à l'égard des femmes est un phénomène beaucoup plus important que la violence à l'égard des hommes - même s'il y en a, je sais.»

Pauline Marois dit «essayer» d'être féministe en tout temps. «Ça ne veut pas dire que je réussis parfaitement», concède-t-elle. Entre les principes et leur application au quotidien, il y a parfois un pas. «Par exemple, j'aimerais avoir un Conseil des ministres paritaire, dit-elle. Mais bon... Parfois les circonstances ne le permettent pas.»

Je rappelle à la première ministre qu'au rythme où vont les choses, si on attend que les circonstances le permettent, il faudra 25 ans avant d'obtenir la parité à l'Assemblée nationale... Au palmarès de l'égalité dans les parlements, le Québec est au 21e rang, tout juste à côté du Népal, avec seulement un tiers de femmes. Ne faudrait-il pas donner un petit coup de pied à l'histoire en obligeant les partis à avoir des listes paritaires?

Pauline Marois soupire. Elle avoue être «un peu tiraillée» sur cette question. Elle semble agacée quand je lui dis que l'ex-premier ministre Jean Charest s'est peut-être montré plus féministe qu'elle, lui qui a réussi à avoir un Conseil des ministres paritaire sans y être contraint. Elle y voit avant tout de l'opportunisme. «Je vous ferai remarquer qu'il l'a fait quand il était minoritaire, dit-elle. Aussitôt qu'il a été majoritaire, il l'a changé.»

La parité dans le comité de direction du Parti québécois, Pauline Marois veut bien. La parité exigée dans les conseils d'administration des sociétés d'État, elle est d'accord aussi. Mais la première ministre est plus réticente quand il est question d'exiger des listes électorales paritaires et des quotas. Comme bien des politiciennes, elle se dit «un peu mal à l'aise» avec ce genre de mesures musclées. C'est un peu compliqué dans le système parlementaire de type britannique qui est le nôtre, dit-elle. «En plus, dans ma formation politique, pensez-vous que je sois capable d'imposer des candidates dans des comtés?»

Pauline Marois dit l'avoir fait à quelques reprises. Elle ne l'a pas regretté. Mais elle n'est pas certaine que les moyens coercitifs soient nécessairement la façon d'atteindre la parité. «Je crois que ça va finir par débloquer. On va finir par défoncer le plafond de verre. Plus on va être nombreuses à y être, plus on va envoyer justement le message que c'est possible de concilier famille et travail.»

Pauline Marois est très fière d'avoir pu y arriver elle-même. Dans le monde politique, elle fait presque figure d'extraterrestre. Bien sûr qu'on compte d'autres premières ministres au Canada. Mais aucune n'a son parcours. Aucune n'a mené une vie de famille tout en s'attelant à une vie politique aussi exigeante. «Ma vie politique active comme ministre, c'était avec de jeunes enfants et même enceinte, avec les bébés que je trimballais un peu partout. Pour ça, je souhaitais en quelque sorte être un modèle. Pour dire aux jeunes femmes: c'est possible de concilier les deux.»

En même temps, la première ministre dit avoir toujours été très prudente pour ne pas culpabiliser les femmes qui vivent des situations difficiles. «Parce que moi, j'ai quand même la chance d'avoir des moyens», reconnaît-elle. Mais on aurait tort de penser que ce n'est qu'une question de moyens financiers. C'est aussi une question de volonté, de changements dans les mentalités, de répartition égalitaire des tâches dans le couple. «Si je n'avais pas eu ce partage des tâches, probablement que je n'aurais pas fait ce que j'ai fait.»

La sous-représentation des femmes en politique, Pauline Marois l'explique aussi par le fait que les femmes ont peur du pouvoir et manquent de confiance. «J'ai fait beaucoup de démarches pour que les femmes se présentent. Immanquablement, chaque fois que j'approche une femme qui n'a pas d'expérience en politique, elle me dit: "Est-ce que tu crois que je vais être capable? "J'approche un gars, il me dit: "Ah! C'est une bonne idée!"»

Ce manque de confiance est probablement lié au fait que, jusqu'à tout récemment, les femmes étaient presque absentes de la sphère publique, croit la première ministre. Leur leadership, elles l'exerçaient surtout dans la sphère privée.

Son souhait pour le 8 mars? «Que les femmes puissent se faire confiance.» Car selon elle, elles font souvent de meilleures dirigeantes. Elles reconnaissent davantage leurs erreurs. Elles consultent davantage. Elles sont plus à l'écoute. Elles ont un moins gros ego. Elles sont souvent plus studieuses. Elles prennent moins de risques, mais font de meilleurs calculs...

Pour les attirer, il faut assainir et humaniser davantage la politique, croit la première ministre. Faire comprendre que la politique est «le plus grand service qu'on puisse rendre à la collectivité», une façon de «prendre soin du monde» et même de le changer. «Je pense que les femmes ont encore cette préoccupation au quotidien d'améliorer le sort de leurs enfants, de leur famille.»

Discours essentialiste et stéréotypé d'une autre époque? Peut-être. Mais la première ministre persiste et signe. «Même si c'est très traditionnel, ce que je dis là, je crois que cette préoccupation reste profondément ancrée chez nous.»