«Peu importe que vous soyez noir ou blanc, hispanophone, asiatique ou amérindien, jeune ou vieux, riche ou pauvre, en bonne santé ou handicapé, gai ou hétérosexuel, vous pouvez réussir ici, en Amérique, si vous avez la volonté d'essayer.»

Nul n'est mieux placé que Barack Obama pour faire vibrer la corde du rêve américain, comme il l'a encore fait dans son magnifique discours de victoire.

Ce rêve américain, Obama en est bien sûr l'incarnation. Réussir à se hisser à la plus haute fonction du monde dans un pays où, il n'y a pas si longtemps, la ségrégation avait force de loi n'a rien de banal. Il y a quelques décennies à peine, le père de Barack Obama, «coupable» d'être noir, n'aurait même pas pu être servi au restaurant. Et voilà qu'un fils accède pour la deuxième fois aux commandes d'un pays qui, hier encore, niait les droits de son père.

«Barack se bat pour le rêve américain parce qu'il l'a vécu», a rappelé Michelle Obama la veille du scrutin. La première dame a insisté sur son désir de rendre ce rêve accessible à tous. Ses paroles ont été reprises dans le discours de la victoire de Barack Obama. «Je crois que nous sommes capables de tenir la promesse de nos fondateurs, cette idée que, si vous avez la volonté de travailler dur, peu importe qui vous êtes ou d'où vous venez ou votre apparence ou qui vous aimez [...], vous pouvez réussir ici en Amérique.»

Que reste-t-il de ce rêve? En réalité, pas grand-chose, si on se fie à la courbe «Great Gatsby» qui figure dans le rapport économique annuel qu'Obama a remis au Congrès américain l'hiver dernier. Cette courbe (qui tire son nom du roman éponyme de Francis Scott Fitzgerald) montre que le pays de l'Oncle Sam est l'un des pires endroits en Occident pour qui aspire à améliorer ses conditions de vie.

Même si le mythe du rêve américain reste très fort aux États-Unis, la mobilité sociale y est de plus en plus faible. À mesure que les inégalités augmentent, la mobilité diminue. Ainsi, un père pauvre risque fort bien d'avoir des descendants tout aussi pauvres, même s'il travaille très fort pour s'en sortir.

En fait, s'ils veulent vraiment vivre le rêve «américain», ses enfants auront tout intérêt à aller voir ailleurs - au Danemark, en Norvège, en Finlande ou au Canada, quatre pays qui se classent loin devant les États-Unis au palmarès de la mobilité sociale intergénérationnelle.

La campagne présidentielle américaine a mis en lumière la conception très différente qu'ont Obama et Romney du rêve américain. L'un et l'autre se sont posés en défenseurs de ce rêve. Mais ils ne parlaient pas du même rêve. Celui d'Obama repose sur une vision collective, où tous ont des obligations les uns envers les autres et où l'État a une plus grande responsabilité pour combattre les inégalités sociales. Celui de Romney repose sur une vision individualiste, où chacun a le succès qu'il mérite. Et tant pis pour les laissés-pour-compte du capitalisme. Pour les partisans du bien commun, c'est le genre de rêve qui ressemble à un cauchemar.

«J'aurais tant voulu réaliser ce rêve», a dit Mitt Romney dans son discours de défaite. On aura compris que son rêve est à mille lieues de celui d'Obama. Il aurait aimé, selon ses propres mots, mener les États-Unis dans une «direction différente».

Dans sa vision des choses, 47% des Américains, qui attendraient simplement que l'État s'occupe d'eux, n'auraient pas le droit à leur part de rêve.

La vision d'Obama est autrement plus inspirante. «Nous croyons en une Amérique généreuse, une Amérique compatissante, une Amérique tolérante, ouverte aux rêves d'une fille d'immigrés qui étudie dans nos écoles et prête serment sur notre drapeau. Ouverte aux rêves d'un jeune homme qui vit dans le sud de Chicago et qui pense qu'il y a une vie au-delà du coin de la rue. À ceux de l'enfant d'un ouvrier du meuble de Caroline-du-Nord qui veut devenir médecin ou scientifique, ingénieur ou entrepreneur, diplomate ou même président - voilà l'avenir que nous voulons.»