Un cas isolé? J'aimerais bien y croire. Mais je n'y crois pas une seconde.

Non, heureusement, tous les policiers ne sont pas comme l'agente 728. Tous ne voient pas les artistes et autres «gratteux de guitare» du Plateau comme des «rats», des «mangeux de marde» et des «hostie de carrés rouges». Tous ne manquent pas autant de jugement. Plusieurs font du très bon travail. De là à prétendre que l'agente 728, suspendue et désarmée après une (autre) bavure, n'est qu'un cas isolé, il y a un pas.

Tant qu'on fait du matricule 728 un bouc émissaire, on passe à côté des questions fondamentales soulevées par sa bavure. Tant qu'on se contente de la théorie de la «pomme pourrie», on fait fausse route. Tout autant que les lyncheurs imbéciles qui menacent de mort la policière et publient des photos de sa maison, comme si on pouvait effacer un excès par un autre.

Ce qui est le plus inquiétant, dans cette histoire, ce n'est pas le comportement de l'agente Stéfanie Trudeau, aussi condamnable soit-il. Ce qui est le plus inquiétant, c'est ce qu'il révèle sur la culture policière. Ce qu'il révèle aussi sur la culture ambiante, qui permet que de tels actes et de tels propos soient tolérés.

On s'acharne sur cette policière comme si elle incarnait à elle seule tout le mal du monde. On s'acharne, mais le plus inquiétant, ce n'est pas tant son comportement que le silence de ses collègues et de ses supérieurs. L'esprit de corps qui fait que de tels comportements déviants sont tolérés.

L'agente 728 n'en était pas à son premier écart de conduite. Si son comportement est aussi inacceptable qu'on le prétend dans la police, comment se fait-il qu'il ait été toléré pendant toutes ces années? Comment se fait-il qu'on ait confié une arme et des pouvoirs à une employée qui a montré plus d'une fois qu'elle avait plus de préjugés que de jugement? Comment se fait-il que son supérieur ne la rappelle pas à l'ordre au moment où elle lui raconte son intervention musclée auprès de ceux qu'elle traite de «rats», de «mangeux de marde» et d'«hostie de carrés rouges» ?

Un cas isolé? J'aimerais bien le croire. Je ne doute pas un instant de la sincérité du chef de police Marc Parent quand il condamne le comportement et les propos de l'agente 728. Je salue son courage et la justesse de son intervention. Mais y aurait-il eu enquête si cette histoire n'avait pas été médiatisée?

Le plus troublant, ce n'est pas de savoir qu'une minorité de policiers sans jugement peuvent agir comme l'agente 728. Le plus troublant, c'est que la majorité des policiers ne disent rien.

Un cas isolé? Le fait est que la loi du silence et l'esprit de corps sont tels dans la culture policière qu'ils ne nous permettent pas d'y voir clair, de départager l'isolé du toléré. Et comme il n'existe aucun mécanisme indépendant et transparent permettant de policer la police, l'opacité reste entière. Jusqu'à ce qu'une scène filmée par un téléphone intelligent laisse filtrer un peu de lumière et suscite l'indignation. Mais qu'arrive-t-il quand rien n'est filmé et qu'il n'y a pas de témoins?

Un cas isolé? Au-delà de ce que cette controverse nous dit sur la culture policière, j'y vois l'écho d'un climat ordurier qui n'a pas été inventé par l'agente 728. La crise étudiante a rendu légitimes des propos injurieux à l'égard du mouvement étudiant et des gens qui les appuient. On a vu des policiers matraquer des étudiants et des professeurs dans des manifestations pacifiques. Loin de s'en offusquer, bien des gens ont applaudi, même après des interventions policières très violentes. Le gouvernement Charest n'a jamais dénoncé ni même remis en question ces interventions, comme si c'était finalement normal de taper sur les étudiants. On attend encore l'enquête publique qui permettrait de tirer des leçons de cette vague de répression.

Dans un tel contexte, faut-il s'étonner, quand l'agente 728 parle d'«hostie de carrés rouges», de retrouver presque mot pour mot des injures entendues maintes fois durant la crise étudiante? Ces injures n'étaient pas propres aux policiers. Elles étaient largement répandues dans la population, notamment sous la plume de certains cracheurs d'opinions populaires.

Tenez, une devinette pour terminer. Qui a dit à propos des étudiants qui avaient bloqué le pont Champlain: «Câlisse, on veut aller travailler, bande d'esties de puants sales»? Non, ce n'est pas l'agente 728. C'est le très honorable maire de Huntingdon, Stéphane Gendron. Le même qui avait organisé un blocus routier il y a quelques années pour obtenir de l'aide du gouvernement. Cherchez l'erreur... Et quelle était donc la question posée à son émission Face-à-face, cette semaine? «Nos policiers manquent-ils de savoir-vivre?» Pas seulement les policiers, si vous voulez mon avis.

Un cas isolé, cette histoire de matricule 728? Non. L'occasion de faire un examen de conscience collectif plutôt qu'une séance de lynchage.