Hier midi, sur l'esplanade de la Place des Arts, des dizaines de personnes étaient étendues sur le sol, comme si elles venaient d'être abattues. Sur leur poitrine, des mots noirs sur une feuille blanche. «Non à la peine de mort.» Au bout d'un porte-voix, des extraits du Dernier jour d'un condamné, réquisitoire de Victor Hugo contre la peine de mort. Toujours pertinent, deux siècles plus tard.

Ces gens, jeunes et moins jeunes, participaient à un die-in d'Amnistie internationale à l'occasion de la 10e journée mondiale contre la peine de mort. «Tant que la peine de mort existera, on aura froid en entrant dans une cour d'assises, et il y fera nuit», disait Victor Hugo. Deux cents ans plus tard, malgré les progrès, on attend encore l'aube.

Je sursaute chaque fois que je vois passer ces chiffres qui nous disent qu'une majorité de Québécois seraient en faveur du rétablissement de la peine capitale. Soixante-neuf pour cent, selon un sondage Angus-Reid publié il y a deux ans. Le taux fluctue au gré des sondages et des meurtres crapuleux qui font dire à trop de gens: «Je suis contre la peine de mort, mais...» Contre la peine de mort sauf quand ils sont pour.

Comment expliquer que cette pratique barbare ait encore la cote alors que tout nous indique qu'elle est injuste, inefficace et coûteuse? Une partie de l'explication repose sur des mythes, rappelle Amnistie internationale. Des mythes durs à tuer, entretenus par le gouvernement conservateur ainsi qu'une certaine presse populiste et servis à une population vieillissante qui a de plus en plus peur, même si la criminalité est à la baisse.

Aux mythes, on ne peut qu'opposer des faits. C'est ce que propose Amnistie internationale dans une campagne bien ficelée qui, on l'espère, saura faire changer d'avis ceux qui ont avalé des idées reçues sans s'en rendre compte.

Mythe numéro un: la société est plus en sécurité avec la peine de mort. Les faits: les 17 États américains sans peine de mort n'ont pas un taux de criminalité plus élevé que les autres. Le taux de meurtres y est semblable ou inférieur au taux national. L'effet dissuasif est un leurre. Depuis l'abolition de la peine de mort au Canada, en 1976, le taux d'homicides n'a pas explosé, bien au contraire. Il a baissé de 42%.

Mythe numéro deux: la peine de mort coûte moins cher que l'emprisonnement à vie. Les faits: la peine de mort entraîne un gaspillage d'argent colossal. Aux États-Unis, à cause de tous les frais judiciaires qu'elle engendre, une demande de peine de mort coûte deux à trois fois plus cher qu'une peine d'emprisonnement à vie. Cela prive l'État de sommes qui seraient mieux investies dans la lutte contre la criminalité. De l'avis même d'une majorité de chefs de police américains sondés en 2009, si on veut lutter contre les crimes violents, investir dans la peine de mort constitue l'usage le moins efficace que l'on puisse faire de l'argent des contribuables.

Autre mythe bien ancré: la peine de mort est acceptable parce qu'une majorité de la population y est favorable. C'est oublier que les lois doivent respecter les droits de la personne. Ce n'est malheureusement pas toujours le cas, rappelle Amnistie internationale. «L'histoire abonde de violations des droits de la personne qui ont été autrefois approuvées par la majorité, mais sont désormais considérées avec horreur. L'esclavage, la ségrégation raciale et le lynchage étaient largement acceptés dans certaines sociétés, alors que ces pratiques bafouaient totalement les droits des victimes.»

La peine capitale a été abolie au Canada en 1976. Stephen Harper, même s'il est personnellement en faveur de la peine de mort dans certains cas, a dit qu'il n'entendait pas rouvrir le débat. Mais son gouvernement cultive l'ambiguïté à ce sujet, comme il le fait pour l'avortement. Le Canada ne demande plus systématiquement la clémence pour les citoyens canadiens condamnés à mort à l'étranger, même s'il s'est engagé à le faire en ratifiant un traité international. Il examine les demandes au cas par cas, laissant l'arbitraire prendre le pas sur les principes fondamentaux. Voilà qui est honteux.

Hier, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, dans un appel commun avec plusieurs homologues européens, a plaidé pour l'abolition universelle de la peine capitale. «Nous continuerons à lutter contre la peine de mort tant qu'elle n'aura pas été abolie, car l'idée que l'on puisse tuer au nom de la justice va à l'encontre des valeurs de l'humanité elle-même.» On attend encore du gouvernement canadien un plaidoyer aussi clair.