Pour la première fois, Françoise David s'était permis d'y croire. Lundi soir, après une dernière marche aux casseroles, la candidate de Québec solidaire dans le fief péquiste de Gouin n'avait préparé qu'un seul discours. Le discours de la victoire. «C'est difficile de dire ça sans avoir l'air prétentieux, mais je suis confiante.»

Elle a déjà un appartement en vue à Québec. Elle a déjà commencé à imaginer sa vie de députée. Et si tout le monde s'était trompé, qu'aurait-elle fait? Elle s'est raidie. Son regard s'est assombri. La défaite, elle ne pouvait même pas l'imaginer.

Lundi soir, à la maison, elle a répété son discours devant son «attaché politique»: son amoureux, François Larose, qui partage sa vie depuis plus de 25 ans. Il sait trop bien que cette victoire n'a pas été obtenue en claquant des doigts. En écoutant son amoureuse, il a eu les larmes aux yeux. Le lendemain, ils sont allés voter main dans la main. Leurs yeux brillaient d'amour et d'espoir.

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Dans les 48 dernières heures, l'émotion était à vif, un peu comme à la veille d'un accouchement. Lundi après-midi, Françoise David a réuni son équipe dans son quartier général, rue Saint-Zotique. Une équipe presque exclusivement féminine, dirigée par Julie Larose, 34 ans, la fille de son chum, François. Le moment était solennel. «Je veux vous dire que, quoi qu'il arrive, vous avez mené une campagne exceptionnelle.»

Elle s'est tournée vers Julie pour lui dire à quel point elle avait apprécié son travail. La jeune femme, prise de court, avait les yeux rougis par l'émotion.

Des larmes ont fusé. «Ton maquillage, Françoise!» lui a-t-on lancé à la blague. «Ah! oui. J'en ai tellement!»

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Professeur d'histoire à la retraite depuis peu, François Larose est de ceux qui préfèrent l'ombre. C'est lui qui a convaincu son amoureuse de se représenter pour la troisième fois dans Gouin. Il est sans aucun doute le président de son fan-club.

«C'est un saint!» me souffle un membre de l'équipe. Un saint qui est aussi très bon stratège, dit-on. Lundi, alors que «sa» Françoise était en conférence de presse, il s'amusait dans le fond du local électoral à examiner les pires scénarios avec le responsable du pointage. «Et si tu mets tous les indécis avec le PQ, ça donne quoi? 

- Encore une légère avance pour Françoise.

- Et si tous les indécis et tous ceux qui n'ont pas répondu votent PQ, ça donne quoi?» demande-t-il, comme pour tester l'élastique de son espoir.

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Malgré la fatigue de fin de campagne, Françoise David a tenu à faire un dernier sprint de porte-à-porte, lundi. Était-ce vraiment nécessaire? Sa directrice de campagne était loin d'en être convaincue. «Ah! Oui. C'est sûr que ce sont ces cinq votes de la rue Drolet qui vont faire toute la différence...» lui a-t-elle lancé sur le ton de l'ironie.

Françoise David lui a lancé un regard sévère. «Julie, tu ne diras pas ça si on gagne par cinq voix...

- Françoise, c'est juste une joke!»

«Elle veut pouvoir se dire qu'elle a fait tout ce qu'elle pouvait faire, me confiera Julie. C'est Françoise. Très exigeante envers elle-même. Et tout aussi exigeante envers son équipe.»

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Premier constat après avoir suivi Françoise David à pied, à vélo et au pas de course dans des escaliers, ces derniers jours: cette femme engagée et brillante incarne l'espoir pour un nombre grandissant d'électeurs qui s'étaient désintéressés de la politique. Son succès au débat télévisé l'a enfin fait sortir de l'ombre. Neuf fois sur dix, dans la rue, on l'accueille en héroïne. «Françoise, on vous aime, vous êtes intègre.» Des gens klaxonnent sur son passage. Des cyclistes abandonnent leur vélo pour aller l'embrasser. Des jeunes la prennent en photo comme si elle était une rockstar.

Deuxième constat: cette femme de tête et de coeur sait exactement où elle s'en va. Un engagement en ligne droite, toujours à gauche, mais jamais dogmatique.

Troisième constat: il lui reste maintenant à sortir vraiment de l'ombre d'Amir Khadir, au style beaucoup plus flamboyant. Comment? Le défi est de taille. «Je vais devoir m'imposer. Mais ce ne sera pas Amir, le problème. Il n'y a pas de réticence de sa part», dit-elle en rappelant qu'il voulait à tout prix, depuis longtemps, que ce soit elle qui participe aux débats télévisés.

«Le défi est plutôt médiatique. Amir a toujours dit à la blague: «Elle, elle sera première ministre, et moi, je serai son dernier ministre!»