Même à l'article de la mort, Hosni Moubarak est loin d'être mort. C'est bien là le drame de l'Égypte, beaucoup plus mal en point aujourd'hui qu'il y a 18 mois. La corruption, l'impunité et la répression de l'ère Moubarak n'ont pas disparu comme par magie en février 2011. La tête n'est plus, mais les tentacules ont tenu le coup. La démocratie pour laquelle des Égyptiens ont perdu la vie reste un rêve taché de sang.

Moubarak a été déclaré mort, puis pas si mort. Ces annonces ont eu lieu au moment où plusieurs se demandaient si la révolution égyptienne, détournée de ses aspirations, n'était pas un peu morte elle aussi.

Je repense au résumé cynique de la révolution fait par un ami égyptien désabusé: «L'opération a réussi. Mais le patient est mort.» Et à cet autre ami qui répliquait avec optimisme: «Mais non! Cela prendra du temps, c'est tout.» Les deux peuvent-ils avoir raison?

Après que des sources eurent déclaré Moubarak «cliniquement mort», d'autres l'ont aussitôt ressuscité. Il était dans le coma, entre la vie et la mort, après une attaque cérébrale. D'autres sources ont tout démenti, racontant que Moubarak avait juste fait une chute dans la salle de bains.

On l'avait vu se rendre au tribunal en civière, l'air déjà embaumé, des lunettes de soleil cachant ses yeux. On dit que son état s'est rapidement détérioré après sa condamnation à la prison à vie pour la mort de quelque 850 manifestants pro-démocratie lors du soulèvement de l'hiver 2011. Le verdict du procès a suscité l'indignation, six ex-hauts responsables de la sécurité ayant été acquittés. Des Égyptiens qui ont vu trop de manifestants mourir craignent que ces acquittements perpétuent la culture de l'impunité qui a marqué le régime Moubarak.

La confusion autour de l'état de santé de ce «dernier pharaon» qui a régné sur l'Égypte pendant 30 ans est à l'image de celle qui a cours plus que jamais dans le pays qui l'a chassé il y a un an et demi. Celle d'un pays sans constitution ni Parlement, avec un conseil militaire qui s'accroche au pouvoir et deux présidents qui se bousculent aux funérailles.

Les révolutionnaires, de plus en plus amers et divisés, n'ont aucune bonne raison de quitter la place Tahrir. Ils ne manifestent plus contre Moubarak. Ils manifestent contre l'armée qui le fait renaître de ses cendres. «La plus grande erreur que l'on a faite en Égypte, ce fut de donner le pouvoir aux militaires après que Moubarak fut tombé», m'avait dit une jeune révolutionnaire en décembre. Elle avait bien raison. L'invalidation des élections législatives et la dissolution de l'Assemblée du peuple dominée par les islamistes à la veille du scrutin présidentiel ont confirmé ce que plusieurs craignaient: élections ou pas, le Conseil suprême des forces armées n'entend pas céder aussi facilement les rênes du pays.

Ainsi donc, en pleine élection présidentielle, l'Égypte s'est retrouvée dans la situation la plus absurde qui soit. Élire un président, c'est bien beau, mais sans Parlement ni constitution, cela revient à élire un «empereur» qui aurait plus de pouvoir que le dictateur déchu, avait observé l'opposant Mohamed El Baradei, qui s'était retiré de la course présidentielle. Ce n'est pas exactement ce qu'on attendait de ces premières élections dites «libres» et «historiques».

Le Conseil militaire, qui devait officiellement assurer la transition vers la démocratie, semble s'être offert un chèque en blanc. Il s'est assuré de garder la mainmise sur les pouvoirs législatifs et les budgets de l'État. Il s'est assuré aussi, par déclaration constitutionnelle, que le futur président soit soumis à son autorité et qu'il n'ait pas un mot à dire sur les affaires militaires. Bref, il s'est assuré de pouvoir continuer à contrôler à peu près tout. Les jeunes révolutionnaires y ont vu un «coup d'État total». Plusieurs craignent un retour à la dictature militaire. La seule bonne nouvelle, c'est qu'ils ne se tairont pas.

Pour ajouter à l'absurde, les deux candidats au scrutin présidentiel ont tous les deux revendiqué la victoire, sans même attendre les résultats officiels (ceux-ci devaient être connus aujourd'hui, mais la commission électorale a hier décidé d'en reporter l'annonce). L'un est Mohammed Morsi, candidat des Frères musulmans, fortement critiqués pour leur opportunisme par des révolutionnaires de la place Tahrir. L'autre est Ahmad Chafiq, vu comme le candidat chouchou de l'armée. Et détail non négligeable, ancien premier ministre de Hosni Moubarak. Il a pu se présenter aux élections en dépit de la menace d'une loi interdisant aux anciens caciques de l'ère Moubarak de le faire.

Presque mort, Moubarak? Non, pas si mort.